Mon BDSM
Non, je ne me défoule pas en fouettant celle que je prétends aimer. Non, elle ne prend pas son plaisir dans la souffrance.
Non, vraiment, désolé, mais nous avons à la fois une sexualité admirablement épanouie, et une vie merveilleusement équilibrée, qui ne pâtit pas de cet épanouissement.
Mon plaisir personnel passe par toutes ces voies que je viens de décrire. Le contexte qui libère l'imagination, le cadeau, les frissons de l'anticipation, les fétichismes, le sexe débridé, l'alibi artistique et technique du Shibari ou du fouet…
Il y aurait en particulier beaucoup à dire sur les liens, dans la mesure où être attaché représente certainement le summum de la soumission à l'autre. Pour illustrer mon BDSM, je me contenterai maintenant d'aborder un aspect qui est communément source d'incompréhension…
Partons du postulat que la soumise est une personne recherchant, avant tout, un état où elle se sent réellement dominée, absoute de toute capacité de décision, livrée à son partenaire et objet de son désir. Acceptons également l'idée que le plaisir du dominant réside dans la sensation de posséder l'autre, à travers le cadeau qu'il reçoit sous la forme de cette personne qui se livre à lui.
Attacher les membres de la soumise répondra bien sûr à cette attente mutuelle. Mais que faire ensuite ?
Il n'existe qu'une réponse à cette question : la tourmenter.
C'est dans cette notion, très vite amalgamée à la torture, que se situe la principale incompréhension du grand public – qui va trop souvent assimiler le couple SM à une pauvre créature masochiste en quête de douleur, et à son sadique comparse qui éprouvera une vicieuse satisfaction à la maltraiter.
La réalité est tout autre, bien loin de cette perception erronée. Qui murmure tourments ne dit pas blessures, et aux antipodes d'une quelconque envie destructive de souffrance, ce que les deux complices vont rechercher, c'est l'exacerbation de cette situation de dépendance. La soumise, attachée, va vouloir ressentir son impuissance du moment, goûter le fait qu'elle ne décide plus de rien, en éprouvant son absence apparente de liberté. Le dominant va, pour sa part, aspirer à savourer cette possession temporaire, en vérifier la réalité et se délecter, bien sûr, du plaisir sexuel d'abandon qu'il lira dans la soumission de sa compagne. Pour répondre à cette attente consensuelle, quelle meilleure voie que donner à la soumise une bonne raison de soudain souhaiter être libre, et lui montrer qu'elle ne peut obtenir cette liberté ?
La valse des tourments va ainsi commencer, incompréhensible pour les regards extérieurs : dans les liens, une simple caresse devient viol. Que le dominant chatouille les côtes de sa partenaire, et il la verra se débattre, chercher désespérément à se libérer de ses entraves, prête à tout pour que cesse le supplice… elle éprouvera alors, à ce moment précis, toute la force de son impuissance – tandis que lui ressentira, au travers du pouvoir qui lui est octroyé, l'immensité du cadeau qui lui est offert.
Dans cette situation où les sens sont en éveil et les nerfs à fleur de peau, le ressenti de la plus légère des pinces appliquées sur un sein prendra des proportions considérables, amplifiant la conscience de soumission générée par les liens.
Dans la grande famille des tourments, l'humiliation est une autre source commune d'incompréhension. On a souvent du mal à saisir la signification de certains folklores du SM, qui nous montrent la « victime » appelant révérencieusement « Maître » son compagnon, se tenant dans des postures parfois dégradantes, accomplissant des actes ou adoptant des attitudes avilissantes…
Personne n'aime être humilié. Tout comme l'attrait sexuel pour la soumission ne conduit pas un individu à rechercher la douleur, il n'amène aucunement à se complaire dans l'humiliation. Simplement, la recherche d'une situation, épisodique, de dépendance à l'autre guide les deux partenaires dans des voies où l'apparence de la domination, seule, ne suffira pas : il faudra encore la démontrer, ou l'illustrer, afin de mieux s'en délecter…
La preuve, en matière de SM, utilise abondamment la règle des contraires – et c'est bien ce qui choque : pour te prouver que tu es réellement à ma merci, je vais appliquer ces pinces sur tes seins, et les laisser là jusqu'à ce que tu me supplies – humblement – de les ôter.
Ici, le plaisir des protagonistes n'est pas dans la douleur du pincement ou dans l'humiliation de la supplique que la soumise devra formuler, mais très précisément dans le fait que celle-ci déteste la souffrance autant que la honte : pour que l'une cesse, elle devra se résigner à l'autre, illustrant ainsi un état d'impuissance et de soumission extrême, qui est le véritable but recherché.
Les tourments n'iront jamais bien loin, grâce aux accessoires de plus en plus raffinés proposés spécifiquement pour le BDSM : les pinces, par exemple, sont finement étudiées pour être progressives et ne jamais blesser les chairs… suscitant, pour la victime, des sensations finalement agréables et intéressantes, ce n'est souvent qu'après plusieurs minutes qu'elles pourront devenir insupportables.
Quant au plaisir du dominant, c'est dans l'application de ces fausses tortures qu'il faudra le comprendre, dans la lecture des sentiments générés, et surtout dans le dialogue – parfois totalement silencieux – qui ne manquera pas d'en résulter. Posséder temporairement un droit complet sur le corps de sa partenaire, c'est se rapprocher d'elle bien plus qu'il n'est généralement permis ; c'est crever les bulles des individualités dans une quête de volupté mutuelle et partagée, loin de toute envie de destruction.
Le sadisme, le masochisme, j'en suis persuadé, sont des pathologies bien réelles, mais qui n'ont rien de sexuel. Le sadique est un individu qui, sans particulièrement rêver de fouets ou de chaînes, trouvera satisfaction dans la destruction morale de ses proches. Le masochiste ne se sentira à sa place que dans des situations de désespoir ou de souffrance, qu'il tendra à rechercher ou provoquer, jusqu'à s'annihiler lui-même.
Ces deux affections comportementales sont très graves. Elles peuvent se manifester aussi dans la sexualité des individus qui en sont atteints, et très naturellement, une personne aux instincts d'autodestruction trouvera chaussure à son pied en la personne d'un partenaire qui détruit au lieu de créer. Le résultat, ce sera deux vies gâchées. Je comprends la nécessité d'avoir donné un nom à la jonction de ces maladies terribles, tout comme je crois l'appellation sadomasochiste, en l'occurrence, parfaitement appropriée.
Le qualificatif SM en a découlé pour décrire ce qui, de l'extérieur, ressemblait fort à l'association sexuelle de partenaires atteints de sadisme et de masochisme… si cette forme de rencontre existe bel et bien, elle n'a rien à voir avec mon mal-nommé BDSM. Car au-delà de tout, mon appétit sexuel ne se peut se nourrir que du bien-être et des joies de ma compagne, dans l'équilibre et les délices de la complicité.
On n'en apprend jamais tant sur son propre pays, dit-on, on ne peut jamais aussi bien le juger, qu'en allant découvrir les contrées étrangères … je ne me suis jamais tant senti grandir et évoluer qu'en partageant, en m'ouvrant tout entier à celle que j'aime, et en la voyant faire de même. J'évoquais, au début de cette réflexion, les unions non-consommées. Terme abject au demeurant, que je m'approprierai toutefois pour à mon tour déclarer haut et fort : une union dont le sexe n'est pas absent mais où les envies profondes de chacun sont refoulées, maintenues dans le domaine du tabou, est une union non-consommée.
N'en déplaise aux âmes sensibles, cette terreur qu'enfant, victime de cette grippe étrange appelée SM, j'éprouvais à la perspective de devoir me résoudre à inhiber mes désirs sexuels pour pouvoir espérer connaître une histoire d'amour, je l'ai vaincue. Je l'ai terrassée, pour parvenir enfin à vivre la plus belle et la plus sincère des romances.
Atteint par cette déviance qui m'affligeait, complexé peut-être par cette affliction, j'ai malgré tout développé une intégrité morale et un sens de l'exigence qui m'ont fait décliner tout compromis, me permettant d'oser ce que mon éducation semblait réprouver. Dans le contexte d'une opinion générale aussi extrême que superficielle, j'ai dû me faire seul juge de ce qui était bien ou mal ; j'ai réprimé les craintes – peur de l'image, des conséquences, de l'escalade, peur de l'autre ou de moi-même – tout comme j'allais plus tard refuser les aspects du jeu SM qui me déplairaient ou m'apparaîtraient potentiellement destructeurs.
Modéré, bien loin du sadisme et du masochisme, mon BDSM, au contraire de détruire, se veut épanouissant et constructeur. Mélange complexe de plaisirs simples, il légitime un cadre sain et très ponctuel où les régressions sociales et les instincts primaires se savourent. Le sexe libère du sexe, il répare, et ce qui résulte de ces moments passés à deux, c'est avant tout un bien-être, et une complicité exceptionnelle dans la vie de tous les jours…
Quelles que soient les voies que nous empruntons, l'être humain sera probablement toujours à la recherche de la magie de l'autre. Les rencontres nous grandissent, et peu importe leurs apparences : je n'ai jamais vu de relation BDSM qui n'ait été progressivement dépassée par la dimension humaine et amoureuse.
Je constate avec joie que l'une n'exclut pas nécessairement l'autre, et au final… Dieu qu'il est bon de voir celle qu'on aime et qu'on respecte, celle qu'on apprend chaque jour à connaître davantage, faire preuve d'une telle force en s'agenouillant sans honte pour recevoir son collier, faisant fi des tabous alors que le jeu d'un soir démarre…
K--