Fioriture Fioriture Fioriture
Symbole BDSM

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LE FESSOGRAMME
Journal d’information pour mains roses et fesses rouges N°10 Août 2006

Le rédacteur du mois est P. Khayyam

http://mehere.free.fr/
Courrier Khayyam

 

Le Fessogramme

N°10

AOÛT 2006

Quel que soit votre style et pourvu qu'il y ait une relation avec la fessée, le bondage, le bdsm, vous pouvez être le rédacteur du mois du Fessogramme.

Tout est permis, Interviews, photos, dessins, articles de fond (ou de surface)... Sérieux, drôle, poétique, farfelu...

Conditions :

Produire au moins deux articles et quatre photos, images ou dessins.

A vos plumes !

Envoyez vos articles:
meliemel@wanadoo.fr

Édito

P. Khayyam...  Photo © scarlett 2003On ne sortira jamais de cette vieille rengaine : une fille qui multiplie les partenaires est une catin ; un homme qui ne compte plus ses conquêtes est un héros. Appliqué aux rapports de domination - soumission, la conséquence en est simple : une soumise qui confie ses pensées doit en permanence se défendre d’apparaître victime ou putain, quand le dominateur se voit, lui, contraint de sans cesse prendre garde à ne pas sombrer dans un étalage qui aussitôt passerait pour de la frime…

Puisque Mélie m’a confié la rédaction du Fessogramme ce mois-ci, j’aimerais profiter de mon temps d’antenne pour passer ce message à la planète qui me regarde : ne vous moquez pas des domdoms. Domino c’est un dur métier, croyez-moi.
Un jour, mon crémier m’a dit : « commerçant, c’est le plus beau métier du monde… si seulement il n’y avait pas les clients »… je ne pousserai pas le bouchon jusqu’à rapporter ces paroles à la relation Bdsm, mais quand même… franchement… lisez le blog de Mélie, par exemple, et imaginez avec moi l’enfer que doit être la vie de son partenaire. Je le devine dépressif comme moi, comptant le peu de cheveux qui doivent lui rester sur le crâne, traitant chaque matin à la crème hydratante les paumes de ses mains rongées par les ampoules, hochant sans cesse la tête de droite et de gauche, levant les yeux au ciel dans une totale incompréhension chaque fois que sa compagne prétendument soumise ouvre la bouche pour lui sortir une de ces perles dont elles ont le secret… les soumises plus que toutes autres.

Le pire, c’est qu’on aime ça. Les doms plus que les autres, justement. Bien sûr, on s’abstient de le dire à voix haute, de peur de voir notre compliment immédiatement sanctionné d’un réprobateur : « ah oui, en fait, ce que t’aimes chez moi, c’est mon côté godiche, c’est ça ? »
Au fond, tout est simple : les dominants sont de grands masos, et les soumises sont toutes des sadiques. Elles nous torturent, nous mettent sans cesse à l’épreuve, jouent de nos nerfs comme d’un yoyo, et nous, tout ce que nous savons faire, c’est fondre d’amour pour elles, et nous soumettre à tous leurs désirs. Moralité : pour dominer, il faut avant tout aimer être manipulé. Pas de quoi frimer, vraiment, je vous le dis, vous moquez pas des domdoms.

Conan, Maître SMDe-ci de-là, on peut lire des définitions de ce qu’est un « vrai Maître », mais je vais vous la révéler, moi, la cruelle vérité : le dom, le vrai, c’est celui qui a pris la pastille rouge et se confronte chaque jour à cette terrible réalité que je viens d’évoquer. L’autre, le pas-vrai dom (qu’entre elles, elles baptisent millimaître, ou mèmètre – ouioui, elles ont leur langage, en plus)… l’autre, le pas-vrai dom, donc, c’est le couillon qui a choisi la pilule bleue et s’imagine être vraiment le boss dans le couple.
Moi, je suis un vrai Maître. C'est-à-dire, j’ai bouffé la rouge. J’ai honte. Depuis, je fais ce qu’on m’a conseillé aux Dominants Anonymes : j’agis comme si j’avais avalé la bleue. Elles nous trouvent « à croquer », paraît-il, quand on s’investit dans notre rôle et qu’on se prend à les croire à notre merci. Et elles nous punissent moins souvent. Alors comme les copains millimaîtres, je m’affiche grand seigneur. Je travaille mon fouet tous les soirs, je fais mes gammes de karadas et de shinju, je graisse régulièrement les ressorts des pinces à seins, je porte des pantalons en cuir et je prépare à l’attention de ma belle des surprises et des scénarios compliqués, où je fais mine d’être celui qui tient vraiment les rênes.
Voilà ma vie. Je suis un Dominateur, un Dominant, un Maître en Bdsm. À mes côtés, tel Conan le Barbare, c’est toujours docile et à genoux que l’on trouve ma compagne.
Sur l’affiche.

P. Khayyam

Journal d’un dominant, 17 mai 1999Cher journal ;
En y réfléchissant, je réalise aujourd’hui que depuis quelques années je possède deux choses que j’ai toujours crues totalement inaccessibles :
- un emploi international plutôt classe, normalement réservé à ceux qui sont allés à l’école.
- une vraie vie de célibataire, complètement dissolue dans le sexe, le SM et la débauche – héroïque donc, puisque je suis un homme.
Je me sens vraiment fier de moi, enfin. Ces deux points de ma vie font probablement partie de mes accomplissements les moins nobles, mais je réalise soudain que sans eux, sans la satisfaction d’avoir fait mes preuves au moins une fois dans ces compétitions sociales imbéciles auxquelles j’ai toujours prétendu ne pas croire et pour lesquelles je n’ai donc jamais lutté, mon bonheur d’être ce que je suis au fond de moi n’aurait jamais été complet.

Premiers émois

Ursula Andress attachée, dans Soleil RougeLa planète entière va savoir que je suis un inculte, mais tant pis : je ne trouve aucune source à citer qui serait un peu intello, ou au moins plus classe que la télé, pour évoquer mes premières attirances pour le SM… aux commencements il y eut ce western vu chez ma tante, avec cette belle attachée au poteau de torture qui portait une jupe en peau que je considérais très sexy, du haut de mes huit ans. Puis plus tard, bien sûr, Ursula Andress dans Soleil Rouge…
En fait, je la trouvais très moche, mais son air de « oups, j’ai fait une bêtise, ça va être ma fête et ça sera bien fait pour ma pomme » après qu’elle eut tué par mégarde un des Indiens qui voulait jouer avec elle, suivi par la scène où elle se retrouve attachée les mains dans le dos avec la lanière en cuir mouillé qui se resserre doucement sur son cou sous l’effet du soleil… tout cela prenait une ampleur monstrueusement érotique à mes yeux d’enfant. Pas à cause du supplice en soi, mais plutôt de l’image générale de la belle entravée, avec son regard tout penaud quand arrivent ses sauveteurs. J’aurais bien volontiers cassé ma tirelire pour demander à cet imbécile de Charles Bronson de ne pas la délivrer, et plutôt discuter avec elle pendant des heures sur le thème : « et pourquoi je te libérerais, d’abord ? »

Journal d’un dominant, 16 mai 2001Cher journal ;
Ce soir, j’ai rencontré cette soumise dont je t’avais parlé. Elle est attirée par le Bdsm, et elle n’a que peu d’expérience en la matière. Elle est très belle. Elle est venue chez moi – j’avais aussi invité une copine avec son partenaire dominant, pour un repas bien sage et sans jeux SM. Les amis partis, je me suis retrouvé en tête à tête avec mon intrépide invitée, dont je louais le courage et l’inconscience. Les mots se sont faits érotiques, et je ne sais plus très bien comment les choses se sont passées – j’étais pourtant bien décidé à ne pas déraper –, mais l’instant d’après, je retrouvais ma visiteuse fermement attachée, bâillon-boule en bouche, à demi nue sur mes cuisses, gémissant sous les sensations de pinces sur ses seins et de mains – les miennes – sur son corps.
Le moment fut exquis. Sitôt libérée, rhabillée et rafraîchie, quelques heures plus tard, j’ai perçu en elle une forme charmante de métamorphose. Un peu comme une chatte que l’on aurait vue trébucher dans la flaque, mais qui, après s’être convenablement léché le nez et lavé le poil, ferait comme si de rien n’était, comme pour rappeler que les plus grands égards lui sont toujours dus.
J’ai donné à ma visiteuse le surnom de Scarlett.

Télévision et cinéma toujours, avec la venue dans les années soixante-dix de la vague fantastique… toute une génération a dû, comme Martin Roi et comme moi, se découvrir un certain fétichisme pour les catsuits, le latex et le lycra, les sièges d’interrogatoire à grosses sangles, les drogues et autres conditionnements cérébraux qui asservissent les pauvres héroïnes. Je me souviens, j’avais adoré l’Île du Docteur Moreau, même si je déplorais cette idée de transformer les belles en cochonnes après les avoir hypnotisées et leur avoir sanglé le cou d’un large collier de cuir…

Barbara Bach attachée, dans L'Espion qui m'aimait

James Bond ensuite, et l’insupportable sensualité de Barbara Bach dans l’espion qui m’aimait, en robe de soirée, en tailleur ou attachée sur son fauteuil (après que le méchant ait eu l’infinie délicatesse de lui passer une tenue plus appropriée… « La dame est invitée avec moi », avait-il dit… « maintenant vous êtes belle »)…
Les méchants, même s’il me fallut un certain temps pour enfin percevoir le charme étourdissant de la belle Diana Rigg, je les adorais particulièrement dans Chapeau melon et bottes de cuir : toujours de nouvelles idées démoniaques pour dominer leurs semblables, entraver les innocentes ou les contrôler… un véritable régal pour mes tendres années.

Pilote Magazine (bdoubliees.com)L’âge aidant, je pus enfin visiter seul le marchand de journaux de mon quartier… des comics américains aux héroïnes habillées de latex qu’accompagné par mon père je pouvais lire chez le coiffeur, j’allais doucement passer à Métal Hurlant, Pilote, Charlie Mensuel, Spécial USA, puis le défunt Écho des savanes qui bientôt renaîtrait de ses cendres : autant de revues qui n’hésitaient pas à publier Gir, Stanton, Crépax, Manara ou Lob et Pichard. Je découvris finalement Gwendoline, et c’est ainsi qu’à quatorze ans je compris que je n’étais pas sadomasochiste (ouf), mais williste.
Métal Hurlant  (bdoubliees.com)Quelques mois s’écoulèrent, où chaque passage chez le libraire prenait pour moi la saveur interdite d’une visite au sex-shop,, puis un des magazines lança ces mots en couverture : « oh bondage, up yours ! » Le terme bondage était lâché, et tout devint clair : je n’étais pas williste, mais bondophile (et John Willie aussi, donc).

Enfin rassuré sur le nom précis de mon vice, je pouvais faire machine arrière et partir sans culpabilité dans les classiques SM pour y trouver mon bondage. J’empruntais Histoire d’O à la bibliothèque de mon quartier : un bonheur pour mes quinze ans. Plus tard un ami me prêta Le monde de Gor, de John Norman, qui fut pour moi un merveilleux porno. Une histoire aussi lamentable que sa rédaction, mais malgré ma honte, je le confesse : l’ensemble m’excita énormément.

John Norman - GorFasciné par les expressions de la féminité, j’allais aussi lire tout ce que la bibliothèque municipale pouvait m’offrir sur l’histoire de l’habillement de la préhistoire à nos jours – en m’attardant particulièrement sur le caractère étrangement entravant de certains vêtements féminins, tels les corsets, chaussures et autres vertugadins.
Sans trop m’attendre à des merveilles, je décidai d’attaquer Sade mais tous ses romans étaient toujours sortis. Las !, je me rabattis sur sa biographie, avec le recueil de ses lettres écrites en prison. Et là, ce fut une véritable révélation : bien plus intense que le SM que j’espérais y trouver, je découvris une chose qui ne m’avait jamais vraiment intéressé : l’écriture. La beauté des mots artistiquement alignés, qui me rapportaient des faits insoupçonnés avec une rare élégance... l’amour étrange qui unissait le marquis et son épouse, leur complicité fascinante, la déchéance dans l’horreur de l’isolement pour un homme d’une telle culture… et cette femme, totalement éprise, devenue la risée des commerçants, mais qui sans relâche s’avilissait à commander aux parfumeurs de Vincennes des étuis aux formes douteuses pour que son aimé puisse, dans la solitude de sa cellule, se les introduire dans l’anus une dizaine de fois par jour avant de consigner le tout dans son almanach illusoire
Disséquées sous la loupe des historiens et livrées au grand jour, l’existence de Sade et sa correspondance formaient à mon sens un ensemble bien plus bouleversant que son œuvre. Du « sadisme », il y en avait eu au fond très peu. Mais de la vie, de la passion et des belles-lettres, chaque page de l’histoire du marquis qui se déroulait devant moi en était chargée.

Dèmonia Magazine n°5 - Octobre 1990 (collection personnelle)C’est ainsi, par accident, que naquit mon goût pour la littérature classique, et pour l’écriture. Dès lors, je n’allais plus écumer la bibliothèque que pour y puiser du Racine, du théâtre grec et des traités sur le bon usage de la grammaire et de la ponctuation, en rêvant de rattraper mon retard. Mes pulsions érotiques, c’est au kiosque du coin que j’irais désormais les satisfaire : l’époque où les librairies - papeteries - marchands de journaux commencèrent à mettre une à une la clé sous la porte fut aussi celle qui vit naître le magazine Demonia.
Les premiers numéros en noir et blanc avaient vraiment quelque chose… le tournant pris quelques années plus tard me parût un peu trop commercial, mais je comprends mieux aujourd’hui l’ampleur du défi qu’avait choisi de relever Francis Dedobbeleer, avec qui je réalise partager plusieurs convictions. En tête de celles-ci, le rejet de l’élitisme dans le SM, et l’acceptation du fait que chacun voit midi à sa porte (même si sur ce point, je pense qu’en se moquant des blogueuses du SM, F.D. se rend précisément coupable du crime qu’il dénonce).
Ces mêmes années marquèrent l’avènement du minitel… premières discussions en direct, première note de téléphone catastrophique pour les parents, puis silence sur les lignes jusqu’en 1995, avec l’arrivée de l’internet par Compuserve… une nouvelle ère se dessinait : les amateurs de SM n’étaient plus seuls. Ils allaient enfin pouvoir frimer, s’exhiber, se toiser, se critiquer et s’entretuer en public, sans plus avoir à payer un franc la minute…

Collier de soumise...  Photo © P. Khayyam 2006

Journal d’un dominant, 23 mai 2001Cher journal ;
Scarlett et moi avons passé la journée dans Paris. De merveilleux moments, entre tendresse et soumission. Jeux coquins dans les rues de la capitale, domination au restaurant, détente et mots doux aux terrasses des cafés… comme dans un roman de Sade, les discussions existentielles succèdent au sexe, et le précèdent. Scarlett se révèle obéissante, espiègle et sensuelle, et pour ce qui est du Bdsm, nos goûts semblent admirablement se compléter.
Aujourd’hui, Scarlett a accepté de porter mon collier. Malgré son manque d’expérience, elle s’est montré une soumise exemplaire lors de l’essayage chez Phyléa. Simplement, dès que je lui verrouillais un collier sur la gorge, elle traversait tout naturellement le magasin, avec ses mains toujours immobilisées dans son dos, pour trouver le miroir et se regarder sous tous les angles. Au final, l’essayage aura duré bien plus longtemps que prévu, et malgré tous les gestes de soumission qu’elle a montrés à mon égard, je réalise que je n’ai pas vraiment eu mon mot à dire dans le choix du collier que je lui ai offert.

Interview par Mélie Mélo

— Pourquoi faire un site et non un blog sur le SM ?

Journal d’un dominant, 12 février 2002Cher journal ;
J’ai envie de parler de sexe aujourd’hui, pour rendre hommage à ces huit derniers mois et aux parties torrides de jambes en l’air qui les ont ponctués… Jamais je n’aurais osé rêver rencontrer une personne aussi douce, belle, intelligente, surprenante et charmante, avec qui les choses se passeraient aussi bien au lit.
Je n’en reviens pas. Qu’il s’agisse de jeux de domination ou de sexe plus classique, notre plaisir atteint toujours une intensité incroyable, et notre complicité, que ce soit dans l’intimité, en clubs, en voyages ou en soirées privées, semble nous permettre toutes les fantaisies, en même temps qu’elle nous les fait mieux savourer.

À l’origine de ces pages, il y avait la motivation de partager photos de soirées et informations avec la bande de complices SM de l’époque. C’était il y a pas mal de temps, et j’ignorais tout des blogs. Le site était privé, j’en avais interdit le référencement par les moteurs de recherche, et plusieurs sections étaient protégées par mots de passes.

Rodin et l'inspiration de la Danaïde : une légendeJ’ai rendu ces pages publiques il y a deux ans environ. Il m’a alors fallu procéder à un grand nettoyage, pour respecter l’anonymat des modèles sur les premières photos de shibari, et masquer toutes les informations à caractère trop privé. La question aurait alors pu se poser de convertir le site en blog, mais mon intention n’était aucunement de créer un journal. Déçu par le mercantilisme du BDSM sur le web, je voulais surtout aller à contre-courant en proposant gratuitement ce que d’autres monnayaient : des tutoriaux de bondage en photos, par exemple. Payant ou piraté, le SM présentait à l’époque une apparence trop malsaine à mes yeux, comme s’il ne s’agissait que d’un fantasme masculin qui se vit nécessairement à une main devant l’écran, face à des mannequins de studio qui se font rémunérer pour accepter de se faire attacher ou d’enfiler des tenues fétichistes.
J’avais envie d’ajouter du texte aux photos, et de présenter par mon témoignage une vision vivante du SM. N’y ayant pas cru moi-même dans ma jeunesse, je voulais camper sur terre les deux pieds des visiteurs en quête de virtuel pour leur dire : « C’est possible. En vrai. En couple. Sans se détruire, mais en s’épanouissant. » J’aurais aussi bien pu le faire avec un blog, mais les lecteurs auraient alors trouvé pour page d’accueil la fin de l’histoire au lieu du début : le visiteur en recherche de fantasme s’en serait trop vite contenté, avec très peu de chances qu’il aille creuser dans les archives du journal afin d’y puiser le message que j’aurais, moi, voulu faire passer en priorité.

 

Journal d’un dominant, 17 mai 2002Cher journal ;
Je crois que Scarlett et moi, nous nous aimons. Il ne s’agit pas d’un simple amour coup de foudre, qui nous aurait tordu les boyaux et empêché de dormir pendant douze mois, non… il est des amours qui tourmentent, il en est d’autres qui caressent. Certains détruisent, d’autres construisent, et l’on croit toujours, à tort, que les premiers sont les plus forts, les plus vrais.
Scarlett a constamment cette impression que je lui apporte énormément, et qu’en comparaison elle ne m’apporte rien du tout. C’est drôle, j’ai la même sensation, mais dans l’autre sens. J’en conclus que le sentiment perpétuel de recevoir plus qu’on ne donne, s’il est réciproque,  représente une bien merveilleuse malédiction pour un couple.
Ma scarlett en Danaïde  Photo © P. Khayyam 2003

— Est-ce que tu tiens au vocabulaire consensuel : maître - soumise ?

Je tiens beaucoup à tout le vocabulaire folklorique du SM… lorsque le contexte s’y prête.
Dans le jeu, particulièrement s’il est public, les petits cérémoniaux et le langage d’opérette peuvent devenir moteurs d’érotisme. Sorties de là, ces appellations me semblent par contre relever du plus haut ridicule. Il faut être gravement malade pour se croire réellement le maître ou la soumise de quelqu’un, et vraiment très atteint pour y trouver son plaisir. Beaucoup se voient soudain de la race des Seigneurs, au prétexte que leur copine les a appelés « Maître » sur l’oreiller… mais le fait qu’ils accordent un tel pouvoir au jugement de celle que dès lors ils vont nommer leur soumise est révélateur de l’immense faiblesse et des doutes qui tourmentent beaucoup d’aspirants dominateurs : que la belle dise ensuite « je te quitte, trouduc », et le vrai rapport de dépendance paraîtra au grand jour.
Comme Aurora ou toi-même aimez à le faire remarquer, il est plutôt délicat de s’afficher dominateur lorsqu’on n’a pas de compagne de jeu… bien entendu : c’est la soumise qui fait le domino, et personne d’autre.

— Tu es plutôt SM ou D/S ?

S’il y a une chose que je trouve ridicule sur le web, c’est bien ces milliers de pages de sémantique où le premier crétin venu prétend se substituer au dictionnaire pour raconter au monde « ce qu’est vraiment le bdsm », ou « la véritable signification du mot bondage », par exemple. Moi qui suis tout sauf un crétin, je m’en vais expliquer aux lecteurs du Fessogramme, sans dico, de quoi il retourne vraiment. Car enfin, il faudra bien un jour que la planète ouvre les yeux…

SM, c’est la maladie, et D/S un de ses symptômes : comme dans « tu as la crève, ou tu te mouches ? », on ne peut pas opposer l’un à l’autre. On ne « pratique » pas le SM, on en est atteint, à plus ou moins haute dose, et ça pousse à faire du Bdsm, de la D/S, du bondage ou du fouet, à détruire, à se suicider, à se pignoler devant des photos ou que sais-je.
Comme la plupart des « vanilles » n’ont rien à faire de ces termes, ils réuniront toutes ces pratiques bizarres sous le nom de la pathologie qui les motive, et parleront d’« activités SM ». Ce qui est techniquement correct, mais tend à vexer ceux qui en sont atteints (les gens n’aiment pas être catalogués, et surtout pas en fonction des tares dont ils sont victimes). Pire encore : l’inconscient collectif ayant depuis belle lurette assimilé, complètement à tort, le sadomasochisme au seul goût pour les douleurs physiques, infligées ou reçues, on ne connaît que trop bien le stéréotype qui serait invoqué par l’auditoire en réponse à un coming out SM : « oh oui j’ai mal, encore, encore, fais-moi mal ! »
J’ai rencontré beaucoup de gens ayant des activités SM… débutants timides ou pratiquants chevronnés, je crois n’avoir jamais entendu quiconque me dire « je suis SM » – c’est extrêmement rare. L’homosexuel se présentera comme étant gai, l’amateur de couilles d’agneau déclarera apprécier les rognons blancs, et celui qui connaît des pulsions SM se dira gentiment (hypocritement ?) « amateur de Bdsm », ou de D/S. Comme si l’excitation ressentie dans le jeu SM était le résultat d’un choix personnel, posé et réfléchi.
« Moi ? non-non, j’ai pas du tout la crève : je me mouche parce que j’aime bien ça. L’autre, là, il a la crève… il est pas bien, lui… »

Ma scarlett à table  Photo © P. Khayyam 2006Je suis, par les effets d’un goût pour lequel je n’ai, de toute façon, jamais eu mon mot à dire, plus dominateur que bourreau, et bien plus porté sur les jeux cérébraux que sur les activités directement liées à la souffrance. La douleur, en soi, ne m’apporte rien, et je ne la recherche pas : tout est dans la situation, et l’interaction.
Chacun porte ses propres doses de sadisme, et de masochisme. Mon plaisir sadique passe par la possession de l’autre, le contrôle de ses sens, son impuissance et sa jouissance – aucunement sa souffrance.
Parlez-moi d’approcher tout doucement la pince du téton quand la belle est spectatrice vulnérable et heureuse de son tourment, que ses membres soient entravées ou qu’elle ait reçu l’ordre de ne pas bouger… frôler le mamelon, caresser l’aréole, ouvrir toute grande la pince cruelle, la fermer dans le vide et goûter la senteur de l’appréhension qui se mêle au plaisir de l’excitation, ça oui… percevoir le mouvement gracieux et délicat d’une épaule qui amorce un geste de vaine défense, tandis que les chairs semblent hurler leur bonheur… voir des joues se teinter de rose lorsque l’intimité trahit soudain ce que le corps tentait désespérément de cacher, parlez m’en. Mais entendre la soumise crier sa douleur sous la torture, voir les fesses se zébrer ou la peau se craquer, très peu pour moi. À ces activités je préfère, de loin, tous les jeux de rôles, la magie des regards, l’engagement ponctuel à la soumission, l’érotisme d’ambiance, les prétextes aux belles tenues et aux caresses sensuelles…

Journal d’un dominant, 10 mai 2003Cher journal ;
Deux années se sont écoulées depuis notre rencontre, et je vis maintenant dans la maison de Scarlett quasiment à plein-temps. Je crois qu’il est correct de résumer les choses ainsi, dans la mesure où je n’ai pas mis un pied dans mon appartement depuis plus d’un mois.
Je commence à me sentir chez moi ici ; j’ai même appris à utiliser le lave-vaisselle, hier.

— Sur la « bienvenue » de ton site, on lit  « Partager et donner sans compter… » : Peut-on donner et partager de temps à autre ? Est-ce que ta relation dans le sm est quotidienne, permanente ? Il s'agit de partager quoi ?

Journal d’un dominant, 10 juin 2003 Cher journal ;
Hier, mon aristochate m’a enseigné le fonctionnement de sa machine à laver.
De mon côté, j’ai trouvé une tondeuse au garage : inutile de dire que j’ai éprouvé une fierté toute masculine à rénover celle-ci… Cependant, Scarlett ne s’est pas montrée particulièrement intéressée par les détails mécaniques : elle semblait surtout pressée de voir son jardin enfin tondu – tâche à laquelle je me suis attelé après avoir fini de débiter à la hache les derniers billots de bois. Mon premier constat, c’est que la tondeuse, c’est bien plus pratique que la vieille faux que j’utilisais depuis des mois pour remettre en état le jardin de ma belle.

Partager, c’est échanger. Donner sans compter, c’est ne pas s’inquiéter de trop offrir, ne jamais considérer l’autre redevable, et ne pas se soucier de l’équité du partage. Ce que l’on donne, dans ce partage ? Du temps. De la passion, de l’amour, des attentions. De l’écoute. Des réflexions. Des peurs, du réconfort ou des doutes. Offrir beaucoup de soi-même permet parfois à l’autre d’apprendre à recevoir. On peut très bien, à mon sens, ne donner que de temps à autre… l’important résidant avant tout dans le fait de ne pas compter.
Mon aristochate et moi vivons désormais à plein temps sous les mêmes gouttières. Si c’est bien le SM qui nous a fait nous rencontrer il y a quelques années, il ne fait pas – plus – partie de notre vie au quotidien. Nous avons des périodes… trois mois peuvent bien s’écouler sans le moindre jeu de domination, puis soudain voilà ma belle enchaînée dans un club fétichiste, ou bien nous nous réveillons au milieu d’un séjour garni de chanvre, de cuir et de latex.
Nous avons énormément de passions en commun – et chacun beaucoup de passions tout court. Passé les premières fougues de notre rencontre, la réalité a repris certains droits et le SM a dû céder du terrain… je pense que c’est très bien ainsi. La soumission permanente, le 24/7, ça n’a jamais été ma tasse de thé. Pour dominer, il me faut aimer. Or, comment aimer ce qui se montre tout acquis en permanence ? Ce point peut être un réel problème dans la relation, sur le long terme. Je me souviens cette amie, soumise à la personnalité très forte, qui me confessait un jour sa frustration : « tu sais, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse… à partir du moment où l’on a appelé l’autre Maître, ne serait-ce qu’une fois… les dés sont pipés pour toujours. »
On dit parfois que les fantasmes existent surtout pour n’être jamais concrétisés… Or, se livrer à des jeux SM, c’est réaliser un fantasme : le risque est grand de s’y brûler les ailes… À mon sens, le désir peut donc être quotidien, mais son assouvissement, sûrement pas.

— Sur une autre page, tu écris : « Dans ces pages, j'emploierai les termes de soumises et de dominants. Pas des ‘soumis’, pas des ‘dominatrices’, pas plus que des ‘esclaves’ ou des ‘Maîtres’ d'ailleurs, et surtout pas des ‘maîtres(ses)’, car je trouve ces parenthèses qui ratissent large du plus beau ridicule. » Pourquoi est-ce ridicule ?

Charlie Mensuel (bdoubliees.com)C’est l’aspect politiquement correct de ces parenthèses qui, rapporté au SM, me paraît ridicule. Les féministes qui proposent une véritable révision de la grammaire et préconisent, par exemple, d’écrire les gent/es plutôt que les gens, ou tou/tes, les un/es avec les autres plutôt que tous, les uns avec les autres, le font, au moins, dans un élan chargé de sens, en partant du postulat que l’androcentrie doit être combattue partout où elle est ancrée, à commencer par le langage. Bourdieu explique très bien ce principe terrible qui consiste, pour le dominé, à n’avoir pas d’autres mots pour exprimer sa rébellion que ceux que lui a fourni le dominant… même si je trouve ces barres obliques très inesthétiques et nuisibles à la lecture, je peux au moins comprendre ce qui les motive.
Rapporté au SM, ce genre de souci du détail me pose un problème. Lorsque quelqu’un écrit le/la soumis(e) et son/sa maître(sse), en dehors de l’illisibilité provoquée, je ne vois aucune grande cause à combattre, mais une simple manifestation d’égotisme naïf. À travers ces parenthèses, le seul message que leur auteur veut laisser transparaître est, bien souvent, démagogique : « voyez comme je suis tolérant : moi qui suis tout sauf une tafiole, je n’exclus pas de mes pensées les hommes qui se font dominer, ni ces femmes qui les soumettent. Je suis vraiment un type bien. »
Ce qui me gêne le plus ici, c’est que le BDSM est un petit monde où la concurrence crée souvent l’intolérance, où chacun critique les pratiques du voisin pour mettre les siennes en avant, valider ses propres accomplissements ou justifier ses échecs… on y approuvera tout ce qui est loin de soi, mais on y condamnera tout ce qui s’approche d’un peu trop près. Ainsi, le dominateur prêchera souvent la tolérance ou l’indifférence à l’égard des sexualités loin de sa sphère, comme l’homosexualité, la zoophilie ou la soumission masculine. Mais il recherchera patiemment toutes les failles dans le système de son concurrent dominant, trop proche de lui, qu’il condamnera alors sans pitié.
J’ai peut-être tort, ou tendance à déceler le mal là où il n’est pas, mais voir des gens qui partagent une même déviance passer le plus clair de leur temps à critiquer les pratiques des uns et des autres me désole au plus haut point.

Journal d’un dominant, 15 novembre 2003Cher journal ;
T’ai-je déjà confié que s’il est un détail que mon aristochate et moi adorons mutuellement chez l’autre, c’est notre tendance à faire les choses à fond ? Nous en avons eu un exemple dimanche dernier quand, en fin de soirée, nous avons soudain décidé de concrétiser un scénario érotique que j’avais concocté quelques semaines plus tôt. Scarlett a ouvert l’enveloppe, et voilà comment nous nous sommes retrouvés, à onze heures du soir, elle se lavant les cheveux et se parant avec soin pour un casting de cinéma porno, moi poussant les meubles et transformant le séjour en plateau de tournage X.
À minuit, Scarlett, en tenue de soirée coquine et maquillage des plus osés, faisait le tour de la maison et venait sonner à la porte de devant, saluant le producteur que j’incarnais et qui allait lui faire préparer son bout d’essai.
Ce que j’adore, dans tout ça, c’est que le « casting » a duré plusieurs heures, et que nous n’avons pas eu le moindre fou rire. Bien sûr, c’était amusant, et monstrueusement excitant, mais pour que cela le reste, il fallait impérativement prendre le jeu au sérieux. Et sur ce registre-là, mon Dieu… je crois que nous sommes tous deux des fous dangereux. À fond, à fond.
Quel bonheur.

— Quelle différence fais-tu entre les amateurs du bdsm et ceux dont tu dis qu'ils « en font leur argument pour trouver l'âme sœur, s'affichant ‘dominant’ ou ‘soumise’ quand ils ne cherchent en réalité rien de plus que le sexe ou… l'amour. » ?

Oeil de K--  Photo © P. Khayyam 2006Il n’y a pas de jugement de valeur dans cette phrase. En parlant des « amateurs de Bdsm », je me réfère à mon propre cas, comme souvent, et je pense à tous ceux qui, comme moi, ne sont pas tombés dans le Bdsm par choix mais par besoin. On pourra bien me sortir tous les alibis culturels et tous les prétextes esthétiques, du kinbaku japonais aux piercings tribaux africains en passant par les visions érotiques de Sade, le maniement expert du single tail ou les beautés de la mode gothique, rien n’y fera : pour aimer le Bdsm, il faut avant tout avoir un boulon mal vissé. Le SM, même quand il ne se matérialise sous aucune forme destructrice, reste le reflet d’une déviance pure et simple dans l’objet d’attirance sexuelle, et rien d’autre.
On trouve beaucoup de « Maîtres », dans le Bdsm, dont les goûts sexuels sont très correctement programmés : ils ne rêvent que de planter leur biniou dans tous les nombrils du monde, sans entendre leur partenaire qui rêve de liens ou de fessée. Jusque là, rien de très étonnant – et loin de moi l’idée de vouloir réserver l’accès des lieux fétichistes aux seuls déviants authentifiés et reconnus.
Le problème, c’est que ceux-là seront souvent incapables de comprendre la personne en face d’eux, qui se soumet par besoin plus que par envie. Au mieux, ils la manipuleront quelque temps et abuseront de sa soumission pour profiter du bon coup. Au pire, la relation durera et s’usera, tuant doucement tout espoir qu’aurait pu avoir la soumise de rencontrer un partenaire qui satisfasse à ses envies en y prenant du plaisir lui-même, sans abus, et sans que celle-ci n’ait en permanence à indiquer ce qu’elle souhaiterait se voir imposer.


Journal d’un dominant, 2 février 2004Cher journal ;
J’ai décidé aujourd’hui que dans mon journal, j’allais de nouveau faire référence à ma Scarlett comme étant ma soumise. Il y a eu un peu de relâche dans nos jeux de domination ces temps-ci, et je pense que cette subtilité de langage m’aidera à ne pas oublier ce rapport de soumission qui nous donne satisfaction à tous deux.

— Est-ce que le sm peut être léger et joyeux ?

Oui.
Euh… non.
J’ai connu des fous rires dans le SM, qui n’ont jamais gâché la magie de l’instant – bien au contraire. De l’épisode du glaçon qui fait fondre mon sexe au moment le moins opportun jusqu’à ces courses effrénées dans le jardin pour fesser mon aristochate tandis qu’elle m’asperge avec le tuyau d’arrosage, je ne vois que des grands bonheurs. Même en plus large comité, l’ambiance n’a pas besoin d’être à la dramatisation permanente pour que le courant passe, et la domination trouve toujours un précieux allié dans l’humour. Témoins ces jeux de raquette électrique chez Le Squale, où toutes les soumises sont mortes de rire et se défilent comme elles peuvent, ou les ventes aux enchères de Cris et Chuchotements, où le maître de cérémonie propose des mises à prix négatives pour certaines pestes patentées.

Ma scarlett en délicate position... Photo © P. Khayyam 2006Mais en même temps… parmi les attraits du SM, la transgression de l’interdit n’est pas des moindres, et l’on ne savoure vraiment celle-ci que lorsqu’elle s’effectue dans le plus grand sérieux et prend les apparences d’un jeu solennel et secret réservé aux adultes. De surcroît, une personne qui rêve de soumission trouvera difficilement son bonheur quand l’ambiance est aux rires permanents, à moins que parallèlement à l’hilarité, le dominant ne se livre à une surenchère de débauches.
À mon sens, le jeu SM passe nécessairement par des phases très sérieuses – ridiculement sérieuses, même. Donner aux évènements un habillage de drame permet d’accentuer terriblement les ressentis, beaucoup plus qu’en cédant à la tentation stupide d’intensifier les actes eux-mêmes.
On peut faire vibrer une soumise d’excitation en la faisant jouer, très sérieusement, à je te tiens tu me tiens par la barbichette, bien plus qu’en souriant pour lui planter des aiguilles dans les seins. Le fond peut – doit – être léger et joyeux, mais la forme gagne souvent à être profonde et inquiétante.


Journal d’un dominant, 10 mai 2004Cher journal ;
Il y a un an que ma soumise m’a appris à utiliser son lave-vaisselle, et depuis, je crois qu’elle ne l’a plus jamais touché. Pour ce qui est du lave-linge, ça ne fait aucun doute : la buanderie est devenue mon domaine exclusif, et je sais qu’elle n’y a pas mis un pied depuis l’année dernière.
Elle m’a pris, je crois, un peu trop au pied de la lettre, quand je lui ai dit qu’à compter de ce jour elle devrait se plier à toutes les règles de la galanterie. C’était au début de notre relation, et aujourd’hui, nous en sommes à un point où il me semble qu’elle commence vraiment à ne plus savoir actionner seule une poignée de porte, ou descendre un escalier sans que je lui tienne la main. Hier, elle était comme bloquée dans la voiture, et je l’ai surprise à regarder la portière d’un air indigné, murmurant son incompréhension d’un « miaou » en attendant la libération… J’ai l’impression qu’elle a perdu la conscience de mon rôle dans tout cela, et qu’elle en vient à croire réellement que c’est de leur propre chef que les portes s’ouvrent devant elle, que les verres lui arrivent naturellement dans la main quand elle a soif, ou que les draps bordent son corps lorsqu’un frisson fait vibrer ses épaules.

Chanson : Bobo domino démago

Je suis un Dom-dom du vingt-et unième siècle
C’que j’fais c’est pas du SM, mais un spectacle
Quand j’fouette ma copine, faut pas croire
Ça m’fait pas bander, c’est juste de l’art.
Si j’lui passe parfois l’cul à la chandelle,
C’est –j’y tiens– avec d’la cire bio de la Moselle,
Et quand j’l’attache, ma corde à karada,
C’est du vrai chanvre importé d’Osaka.

Je suis un Domdom des temps modernes
Au placard, Sade et toutes ses balivernes
Moi j’vis avec mon temps, j’ai un site weeeb–euh
Pour parler de culture, pas de mon zooob–euh,
Pour expliquer au monde l’Art de la D/S,
Comment faire vibrer une belle paire de fesses,
Pour dire nan moi j’recherche rien, rien, rien…
Nan, moi j’suis bien, j’suis bien, j’suis bien, bien, bien…

Y a les imbéciles, ceux-là j’les méprise
Ils savent pas écrire, ils sont maladroits
Ces incultes là devraient pas avoir de soumise,
On est pas un bon dom sans au moins bac plus trois.
Moi j’utilise de grands mots, je les traite d’impudents,
D’usurpateurs inféconds ou de grotesques impétrants.
Pour être reconnu bon amant, il faut avoir des Lettres,
Alors j’exhibe les miennes en combattant le millimaître.

On m’a enseigné l’Art de la fessée dans un monastère,
Quinze ans d’éducation anglaise, sur de jeunes impubères,
Puis je suis parti au Japon, rencontrer un Maître centenaire,
Qui m’inculqua la science du Shibari, développée par sa mère.
Trente ans de solfège en BDSM, j’ai fait mes classes,
Voyez mes photos ; j’m’en suis fait des bonasses.
Si j’torture des soumises c’est par choix artistiiiique–euh
Pas un besoin sexuel, motivé par la triiique–euh.

(refrain)
Bobo domdom démago…
C’est pas du SM, non-non-non c’est de l’Art,
C’est pas un besoin, c’est mon choix au départ,
D’ailleurs mon esclave est pas du tout masochiste,
Et moi alors là je suis vraiment pas sadiste.
Le contrôle ça m’excite pas une miette, je vous jure,
Moi c’est tout simple, je n’bande que pour la culture.
Bobo domino démago…

Boris Vian et sa trompinette

Journal d’un dominant, 3 juin 2004Cher journal ;
Je te l’ai déjà dit ; ma soumise a la fâcheuse habitude de marcher pieds nus dans la maison, ce qui, avec la danse, résulte en une corne sous ses plantes de pieds qui tend à la démanger. J’ai donc pris le parti, chaque fois que je la surprends déchaussée, de lui administrer une fessée en usant de ces pantoufles qu’elle néglige de porter.
Cher journal, je crois qu’elle a pris goût à ses nouveaux petits chaussons noirs. J’ai bien vu sa réaction la première fois que je les ai utilisés, et depuis, c’est simple : non seulement ma soumise se promène systématiquement nus pieds dans la maison, elle tend en plus les fesses chaque fois que j’approche, et comme par hasard, je ne trouve jamais rien d’autre à proximité que les petits chaussons noirs pour lui rosir les fesses – comme si tous les autres avaient disparu.

Illustration de Norem

Gwendoline, par John Willie

Journal d’un dominant, 2 juillet 2004Cher journal ;
Hier, ma soumise s’est assise sur moi – j’étais allongé nu sur le lit – et elle m’a dit comme ça : « Toi, je vais te butiner tout ton pollen. Maya sur sa fleur, à côté de moi, ça va être de la rigolade. ». Là-dessus, elle a entrepris des choses que je ne peux pas raconter ici, même si elles étaient bien agréables.
Un détail m’a choqué, toutefois… je ne sais pas comment elle s’y est prise, mais dans le feu de l’action, je me suis retrouvé avec son patch à la nicotine collé sur mon ventre. Ce que voyant, ma soumise s’est écriée, sur un ton autoritaire : « Parfait : celui-là, il reste là ! »

Métal Hurlant n°5 (bdoubliees.com)

Ma soumise a un blog drôlement bat,
Trois fois par jour elle lit ses stats,
En pleine nuit elle répond à son courrier,
Pendant qu’moi j’l’attends sur l’oreiller.
Si d’aventure j’lui donne une bonne fessée,
Le lendemain toute la planète est informée.
(voix de commères :)
- C’était une fessée latine ? Il t’a fait le perlimpinpin ?
- J’ai été sa lapine… pour l’orgasme tintin !
- Oh, c’est beau ce que tu dis, j’adôre !
- Moi aussi, merci mon trésôr !

[Solo accordéon]

Pour bien expliquer c’qu’est l’Bdsm
Elle fait des billets sur ceux qu’ont la haine,
Qu’on rien compris, qui font pas comme faut faire,
À défaut d’exemples elle prend les contraires
Elle parle de ceux qui foncent tout droit dans l’mur
Passque dans l’fond, le SM, c’est pas dur :
Suffit d’voir comment s’y prennent les gros cons,
Pis d’faire pile-poil le contraire de c’qu’y font.

Pour dire comme le SM c’est consensuel,
Chaque semaine son blog parle d’abus sexuels,
De violences conjugales et d’accidents,
De femmes battues, de viols et de bains d’sang,
Pis elle dit voilà c’est pas ça, ça, ça…
Voilà moi je suis pas comme ça, ça, ça…

[Solo ukulélé]

Pour dire que le SM, c’est drôlement vaste,
Tous les jours ma soumise blogue culture,
Elle parle des peintres, des musiciens,
Fouille dans l’Histoire, cite des Auteurs,
Pille des photos, fait des poèmes,
Où dans l’extase elle dit voilà c’est ça,
Voilà regardez-moi, moi j’suis comme ça.

(refrain 2)
C’est pas du SM, non-non c’est d’la culture,
C’est pas un besoin, c’est mon choix le plus pur,
D’ailleurs mon maître, oh il est pas du tout sadique,
Et moi alors là chuis vraiment pas masochique.
Me faire malmener ça m’excite pas, j’vous assure,
Moi c’est simple, je n’mouille que pour la littérature.
Bobo domino démago…
Bobo domino démago…

Journal d’un dominant, 5 juillet 2004Hier, j’ai fait cuire des poireaux. Tout seul. La veille, c’était des carottes que je râpais… ma soumise semble avoir entrepris de doucement me transmettre tout son savoir en matière culinaire. Cela inclut l’utilisation du robot de cuisine, de la cocotte-minute, et d’autres instruments qui jusque-là m’avaient toujours paru mystérieux…
Hier, j’ai eu un passage à vide, même si j’étais plutôt fier de mes poireaux. Un doute m’a traversé l’esprit, alors que je préparais une vinaigrette, et je me suis demandé si elles n’avaient pas toutes un plan pour nous… un plan secret, et des méthodes diaboliques destinées à nous mener par le bout du nez, quand bien même elles se prétendent soumises, et peut-être pis encore lorsque sous la couette elles s’amusent à nous appeler « Maître »…

Chair et marbre... Photo © P. Khayyam 2006

Références

À lire

Monologues sur le plaisir, la lassitude et la mort, de Murakami Ryû : Ecstasy, Melancholia, et Thanatos – éditions Philippe Picquier.

La tyrannie du plaisir, de Jean-Claude Guillebaud.

Cités ici

L’intégrale des magazines Charlie, L’Écho des Savanes, Spécial USA, Pilote, Métal Hurlant et bien d’autres : http://www.bdoubliees.com/

Martin Roi – François Prunier. Collection Le livre de poche.

Marquis de Sade – Lettres et Mélanges littéraires écrits à Vincennes et à la Bastille, Tomes I & II, suivis de Lettres inédites à Madame de Sade, par Georges Daumas et Gilbert Lely, éditions Borderie, 1980.

Pierre Bourdieu – La domination masculinePoints, Essais.

The adventures of sweet Gwendoline – John Willie, Belier Press.

John Norman – Le cycle de Gor, éditions J’ai lu – S-F Fantasy.

Films : Soleil Rouge, de Terence Young. L’espion qui m’aimait, de Lewis Gilbert. L’île du Docteur Moreau (1977), de Don Taylor.

Photographies : Camille Claudel, film de Bruno Nuytten. Boris Vian et sa trompinette ; photo trouvée sur la toile

Magazine et textes de Francis Dedobbeleer : Dèmonia magazine.

À visiter

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis cette époque où je déplorais la sur-commercialisation du SM, et nombreux sont ceux qui, depuis, ont décidé de partager leur travail sans le monnayer, contribuant ainsi à une vision plus réaliste du Bdsm. Quelques exemples…

Encordées. Avec une mise en page superbe et des commentaires finement rédigés, Encordées transporte le visiteur dans l’univers des liens, et le guide pas à pas dans la réalisation de bondages aussi esthétiques qu’efficaces. Bonus qui illustre parfaitement le désir de partage de son auteur, la galerie de photos commentées, qui indique tous les détails techniques des prises de vues publiées.

À toi au jour le jour. S’il y a beaucoup de blogs rédigés par des soumises sur la toile, le journal hautement intime de Christine présente la particularité d’être consacré à sa soumission, et à rien d’autre. La lecture dérange et bouleverse, et comme dans un roman de Murakami Ryu ou un film de Dupontel (je pense à Bernie), j'ai l'impression qu’il faut simplement être un peu trop adulte pour le comprendre vraiment. On s'y sent alors fragile comme un gosse, on s'y effondre, et on en ressort tout perturbé.

Mélie Mélo. Le blog de Mélie fait montre d’une qualité bien remarquable dans le monde en ligne du Bdsm : on n’y trouve pas de jugements. Pas de leçons. Pas de « ouah l’autre, il… », pas de « moi je… » – ou si peu, si habilement glissés, qu’on ne les remarque même pas. La belle parle d’elle, pourtant. Tout le temps. De l’épisode de sa vitre de portière qui ne tient pas en place à son interpellation pour excès de vitesse, en passant par les arrêts fréquents de son complice pour des pauses-fessées urgentes sur le bord de la route ou des discussions avec sa factrice, tout devient prétexte à un humour des plus subtils. Après Dans la tête de John Malkovich, voilà À travers l’œil déformant de Mélie, la vie de Mélie. Rien ne nous aura été épargné. Rien. Et bizarrement, on en redemande.

Rêves de femme. Ce qu’Encordées fait en photos, Rêves de femme le fait en histoires érotiques et en récits Bdsm. Visions fantasmatiques ou souvenirs bien réels, les auteurs partagent gratuitement leurs textes dans cette librairie francophone très spécialisée. Si seulement la bibliothèque de mon quartier avait eu un rayon Rêves de femme

Et puis, en vrac et en m’excusant par avance pour le cataloguage sommaire, mon compagnon Squale sur bdsm.info, ainsi qu’Exigeant, Vision de Sabine ou Maxxence pour les dominos (pas de sites de soumis, car ceux que j’appréciais ont disparu ou ont fini par me décevoir). Côté féminin, les chroniques d’Aurora, de Bricabrac, de Morgane,d’une Vilaine fille, d’une bourgeoise soumise, ou d’une flibustière, de Dame Saïda, Gabrielle, Devilish Lady, Isa, fetish geisha, Fleurs de soumission, Nivalane, ou suc et sel. Côté couples enfin, Alex et Coquine, les écrits pourpresl’antichambre ténébreuse, Fleur et Paladin, jeune soumise, et beaucoup d’autres que j’oublie.