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Symbole BDSM

Subspace, la jouissance de la soumise ?

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* jouissance n. f.
• 1466 sens 2 ; de jouir 
1. (1503)  Plaisir que l'on goûte pleinement. => 1. plaisir ; délice, satisfaction. Les jouissances de l'âme, de l'esprit. => délectation, joie. Jouissance des sens, de la chair. => bien-être, volupté. « Aucune jouissance ne peut se comparer à celle de la vanité triomphante » (Balzac). — Épuiser toutes les jouissances de la vie. => délice, douceur. Dans l'absolu Plaisir sexuel. Parvenir à la jouissance. => orgasme.

Catherine hésita un instant, un tout petit moment au-delà des mots et du temps, puis elle obtempéra. Ce genre d'hésitations, de par leur nature incontrôlée, alimentait le plaisir de son maître. Dans ces moments, Cat ne pensait pas - ou elle pensait trop, trop occupée par ses luttes intérieures pour pouvoir exprimer sciemment ses sentiments. Alors, son corps communiquait pour elle. Une fraction de seconde pour ouvrir la bouche, et ne rien dire. Une autre pour baisser le regard, le laisser fuir ailleurs, tandis qu'une épaule nue s'avançait d'un centimètre, se relevait en un geste de crainte contenue. C'était assez pour qu'il sache, sans qu'il pût comprendre lui-même d'où lui arrivait le message. Au-delà des mots, Catherine venait de lui dire : « je t'appartiens. Quoi que tu exiges en cette seconde, mon corps le fera sans même que je puisse y réfléchir ». Il le savait. Elle le savait, et cette réalisation elle-même, soudaine, plongea alors Catherine dans un état d'humilité profonde. Puis, comme les veines du bois qui viennent se contracter sur le clou pour le fixer en place, l'esprit de Cat lui souffla cette pensée terrifiante : « lui aussi, il sait. »

« À genoux », avait-il dit. C'était un ordre simple, mais auquel Catherine se refusait, et s'était toujours refusée. Alors, il s'était emparé de ses poignets. Elle s'était laissée faire, tandis qu'il nouait soigneusement les liens dans son dos - elle aimait cela. Puis il l'avait fessée, de ses mains nues, larges. C'était érotique, Catherine aimait cela, aussi. Doucement, la douleur vint remplacer le sentiment de caresses… l'humiliation, ensuite. Les dents serrées, Cat avait alors tenté un geste de protection, lorsque la douleur avait commencé à se faire trop forte, mais ces mêmes liens qu'elle aimait pourtant venaient de la trahir, en lui interdisant tout mouvement. Seuls ses doigts, loin, bien trop loin, avaient pu esquisser un vain geste de défense, tandis que les coups tombaient. Puis elle l'avait dit : « pitié ». « Pardon ».

« À genoux », avait-il répété ensuite, après l'avoir délivrée, après avoir plongé son regard dans le sien. Une fraction de seconde. Comme souvent, Catherine s'était dit d'abord : « j'obéis si j'en ai envie ». Puis là, les choses s'étaient précipitées dans son esprit. La brûlure, la sensation de chaleur dans ses fesses. « vite ». Le regard qui se baisse de lui même, « éviter ses yeux ». La menace tacite. « si je refuse, je serai de nouveau punie. Et alors ? ». La douleur, excitante mais bien présente. « …et alors, j'implorerai de nouveau merci, je m'humilierai encore davantage ». La réflexion, absurde, sous influence. « pourquoi ne pas m'agenouiller, après tout ? Je lui résisterai, ainsi, en ne lui donnant pas d'autre occasion de me faire implorer pitié. » Les pensées qui s'étaient bousculées dans son esprit - vite, il fallait faire vite - puis la conclusion, aussi simple que décidée par un autre.

Catherine avait hésité un instant, un tout petit moment au-delà des mots et du temps, puis elle avait obtempéré. Et sans même le savoir, tous deux avaient joui, durant cette fraction de seconde.

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Subspace… le terme est allégorique, qui décrit ce moment où la soumise se sent plus dévouée et obéissante que jamais comme un véritable monde parallèle, un espace-temps où les réalités sont altérées, une dimension où les pensées sont biaisées, où l'obéissance règne, où seuls comptent les mots et actes du dominant. Mais si tant de personnes ont reconnu leurs propres sensations dans ce terme au demeurant pompeux, ce n'est certainement pas par hasard : comment définir la jouissance, particulièrement lorsqu'elle est si personnelle, si cérébrale, si difficile à communiquer ?

Le mot ne figure pas dans le dictionnaire, pas sous ce sens. Mais dans tous les corps de métiers, toutes les sciences, tous les arts et toutes les activités, la richesse du vocabulaire permet d'écourter et donc d'élever le débat. Si demain une soumise décide de parler d'un de ces moments précieux, elle pourra le faire comme je le fais dans le texte ci-dessus, dans le détail. Si au contraire, c'est sur d'autres passages qu'elle entend mettre l'accent, elle pourra planter simplement le décor en disant : « j'étais alors en plein subspace, je n'y pensais pas. »

Le mot est froid, pour refléter de si chauds sentiments, et d'aucuns argumenteront sans fin sur le fait que son interprétation en est toujours personnelle, variable selon les individus…
Pour définir cet état langoureux dans lequel on se sent baigner, lorsque l'on fait l'amour et que les corps se rencontrent en parfaite communion, les deux esprits immergés entièrement dans l'acte lui-même, ce moment où plus rien ne compte sinon les frissons que l'on éprouve et ceux que l'on procure, cette longue jouissance, source de tous nos désirs, parfois plus précieuse que l'orgasme lui-même, on parle de volupté… le ressenti de la volupté est différent pour chacun, mais tout le monde s'accorde à trouver dans ce mot l'évocation d'une sensation comprise et partagée…

Le subspace, c'est la volupté dans la soumission. Et comme les loisirs du bondage ne ressemblent pas toujours aux jeux du sexe, il est bien des façons d'atteindre ou d'effleurer ce sentiment magique et effrayant, s'y retrouver intégralement plongé ou venir le taquiner, s'y brûler un petit peu les ailes pour s'en éloigner et y revenir…

Une soumise qui n'a encore jamais été dominée pourra ressentir la piquante chaleur du subspace envahir son corps en s'entendant simplement édicter des consignes pour la première fois. Une personne ayant de forts instincts masochistes pourra ne commencer à l'entrevoir qu'au trentième coup de fouet sur sa peau[1], fermement maintenue dans des liens qui l'écartèlent. Ensuite, pour l'une et pour l'autre, il pourra y avoir des variations d'intensité ; celle-ci parlera de subspace en songeant à cet instant purement cérébral où elle a senti sa conscience perdre équilibre, celle-là sacralisera le terme et ne l'emploiera que pour évoquer des souvenirs où elle s'y est jugée intégralement plongée. Toutes deux disserteront pourtant bien d'un même phénomène[2].

Le subspace, ce n'est pas l'orgasme, mais la jouissance de la soumise ; ce moment où les pensées commencent à basculer, s'altérer, où la soumission semble ne plus supporter d'alternative, où quoi que l'on puisse dire ou faire, c'est sur un sentier tracé par l'autre qu'on le fait. Être en n'importe quel endroit de ce sentier vaporeux, c'est être dans le subspace.
Y être allé une fois signifie vouloir y retourner. La route qui y mène n'est pas simple, mais, comme en hypnose, on en retrouve plus facilement la voie après quelques visites. Ensuite… on souhaite y rester le plus longtemps possible, progresser sur le chemin, et là, c'est au dominant de veiller à protéger sa partenaire d'elle-même, l'empêcher d'avancer trop vite, tempérer son approche pour faire en sorte que lui et elle ne manquent rien du paysage sur cette route qui peut être aussi magnifique que destructrice.

En BDSM, on parle couramment d'échange de pouvoir, d'accord consensuel de perte de liberté pour celle qui se soumet. Passer le pouvoir, laisser toutes les décisions à l'autre, demeurer soi-même tout en se sentant à la permanente merci de celui qui domine, ne plus rien oser faire qui lui déplaise, éprouver tout le poids de sa propre impuissance, c'est ce que recherchent beaucoup de soumises, sinon toutes. Au moins en fantasmes. Mais dans ce type de relations, le rêve peut devenir réalité au moment où l'on s'y attend le moins… une directive qui semble tomber au hasard ; précisément celle qu'on n'aurait pas voulu entendre, peut-être au mauvais endroit, au mauvais moment… que faire alors ?

Mille choses peuvent passer en tête, lorsqu'on reçoit un ordre. La plupart du temps, à moins d'être déjà en plein subspace, on commence par le juger. « fermer mes yeux ? Tout de suite ? Ici, dans ce wagon de métro ? Il ne se rend pas compte. Les gens vont me regarder, ils vont penser que je suis folle… et puis, si quelqu'un monte, que je connais… et s… »
Que l'ordre soit répété, fermement confirmé, qu'un simple regard du dominant passe pour dire : « j'y tiens. Tout de suite », et la soumise, en fermant ses yeux, ne pourra trouver qu'une réponse, une seule, à toutes ses questions - celle-là même qui scellera sur l'instant le passage de pouvoir, et sa descente en subspace : « Il l'aura voulu… Je lui fais confiance… il me protégera. Je ne suis pas seule. »

Mille choses peuvent passer en tête, lorsqu'on vient de se faire punir, fouetter, fesser… La punition, c'est un peu le « j'y tiens » du dominant ci-dessus, la preuve que oui, il désire voir sa partenaire vraiment obéissante. Pour celle-ci, ce peut-être un passe-droit, une sorte de mandat que lui donne son maître ; « les choses que tu vas faire, c'est moi qui te les fais faire. Ce n'est pas toi - ne te juge pas, n'analyse pas, obéis, simplement »[3].
La punition, c'est aussi, immanquablement, une motivation de plus pour obéir, une référence qui va aider la soumise à rapidement trouver réponse à ses questions intérieures, des réponses totalement biaisées, dans un jeu aux règles absolument injustes, qui de fait, la conduiront à ne plus pouvoir penser objectivement, et ne lui laisseront d'autre choix que l'obéissance. Ce moment où elle en viendra potentiellement à oublier que la situation est consensuelle, que son partenaire l'aime, que c'est de son plein gré qu'elle lui a conféré une si large autorité sur son corps et son âme, cet instant où, perdant le souvenir du contexte, elle va presque se surprendre à le craindre et où elle sera prête à tout pour le satisfaire et éviter une nouvelle sanction scellera son entrée immédiate dans le subspace, pour un moment qui durera peut-être aussi longtemps que le jeu lui-même.

Mille choses peuvent traverser l'esprit d'une personne entravée. L'une d'elle est : « puis-je me détacher seule ? » Si la réponse est non, alors le passage de pouvoir a eu lieu. Le passage de pouvoirs… pas l'entrée en subspace. Tant que les pensées sont claires, aussi longtemps que l'on ne ressent pas le poids réel de cet échange qui vient de se produire, on peut attendre calmement, attachée, mais sereine. On se dit : « si je lui demande de me libérer, il le fera. »
Puis le temps passe, et les pensées changent… « si je lui demande de me libérer, le fera-t-il ? », et ce genre d'interrogation en amène d'autres, en cascade. Une douce panique intérieure peut s'installer, où la soumise se surprend à répondre elle-même à ses propres questions… Une envie de boire, l'anticipation d'un besoin pressant, un bête nez qui gratouille… elle préfèrera ne pas demander, de peur de s'entendre opposer un refus qui ne lui confirmerait que trop son impuissance, en illustrant à quel point elle repose désormais sur des décisions qui ne sont pas siennes. Là, dans cette lutte intérieure, tout peut arriver… « Dans cette position, ma circulation sanguine va sûrement finir par se couper, il devra bientôt me libérer de toute façon »… Que les nœuds soient bien faits, que la circulation du sang reste fluide, et c'est cette simple pensée, dix minutes plus tard, « la circulation ne se coupe pas… aucun prétexte à me faire libérer… » qui va trahir la soumise et la conduire tout droit en subspace, sans que le dominant n'ait eu à piper mot : le désarroi face à des liens trop fermes… et trop cruellement confortables.

Une chose passe en tête, une seule, lorsqu'on est attachée et que le dominant décide de vous chatouiller : s'en sortir, par tous les moyens possibles. C'est un jeu très, très dangereux - physiquement pour la victime, qui sur l'instant sera prête à s'arracher le bras pour se libérer, et moralement pour le couple, car les insultes et menaces risquent de pleuvoir. C'est peut-être une des manières les plus cruelles et les plus sûres de faire parvenir une personne au subspace, qui illustre parfaitement l'ambiguïté de cette dimension parallèle insolite où règne l'obéissance. Le subspace n'est pas atteint durant les chatouilles, il l'est ensuite. Si aucun safeword n'a été prononcé, si le dominant a su résister aux éventuelles injures et ultimatums, si la soumise est toujours aussi attachée, désormais pleinement consciente de son impuissance et du pouvoir qu'il détient sur elle, alors… en cet étrange moment, celle-ci se sentira plus que jamais disposée à tout pour éviter que le supplice ne recommence.

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Quoi que l'on puisse en dire, le subspace est une zone dangereuse… qui peut malheureusement être atteinte par une soumise dans les mains mêmes d'un dominant inconnu. Le fait est, la domination aveugle parfois plus encore que l'amour.
L'un des ingrédients essentiels à la réussite d'une relation, c'est la confiance. La connaissance de l'autre s'acquiert avec le temps, et ne pourra, normalement, jamais être telle qu'une personne puisse entièrement et aveuglément s'abandonner à son partenaire, ce qui est heureux. Or, certains états d'exaltation, comme l'euphorie voluptueuse du subspace, ont la triste faculté de permettre à celle qui s'y plonge de dangereusement outrepasser ses limites. Au point de la conduire, par exemple, à faire taire ses instincts de conservation les plus élémentaires, pourtant si précieux dans un moment où l'atmosphère générale est à la jubilation plus qu'à la prudence, et où les risques de dérapage sont, eux, plus présents que jamais.

S'il est une vertu nécessaire à tout aspirant dominant, c'est bien la capacité de garder la tête froide. Sans nécessairement l'identifier, on ressent parfaitement l'entrée en subspace de la soumise, de l'autre côté de la badine. Ce n'est surtout pas un crédit pour faire n'importe quoi. S'il est un merveilleux cadeau dans l'abandon total qu'il représente, cet instant n'en est pas moins celui où la compagne a le plus besoin de soutien, de guidance… en même temps qu'envie de fermeté.
Il est parfois difficile pour un dominant d'accepter le fait que noyée dans le subspace, sa complice est bien. On la verra d'ailleurs s'y comporter occasionnellement comme si elle ne savait plus rien faire qu'obéir (ce qui risque, au passage, de laisser le partenaire hésitant, dans l'appréhension de sentir le jeu lui échapper soudain), et par certains signes, la personne en plein subspace va quelquefois donner à entendre son désir d'aller plus en avant sur la voie de la soumission, poussant littéralement le dominant à durcir l'action, à explorer des territoires jamais abordés…
Retenir, tempérer les ardeurs de la soumise, qui ne comprend probablement pas elle-même ce qui lui arrive, n'est pas toujours tâche aisée… d'autant moins que le dominant goûte souvent lui-même à l'extase du subspace. Dans de telles conditions, ne pas céder aux demandes instamment sexuelles que lui présente sa compagne peut se révéler une réelle gageure. Ces instants où tout peut basculer sont de véritables jouissances, à savourer comme il se doit par les deux parties… avec la plus grande prudence, et en admettant, peut-être, que ce point marque le seuil du trop loin – la limite à ne pas franchir.

À défaut de briser la personne elle-même, le dominant qui négligerait ses responsabilités pourrait très bien détruire la soumise en elle, s'il ne sait pas la protéger d'elle-même. Combien de dominateurs ont voulu trop en faire pour montrer leur talent, ou ont simplement trop écouté les envies de leur partenaire au point d'en oublier leur rôle de protecteur, combien de soumises se sont retrouvées face au constat qu'elles en avaient beaucoup trop fait, trop vite, et qu'elles devraient reprendre la route du début, en pensant, cette fois, à regarder le paysage sur leur passage et à en apprécier enfin les détails ?

Le subspace n'est pas le point G de la soumise, le but à atteindre à tout prix. La confiance, l'écoute, la discussion et la connaissance de l'autre sont les vrais points à rechercher dans ce type de relation, et c'est d'eux que naîtra, parmi mille autres plaisirs, ce doux sentiment d'abandon que l'on appelle subspace. Vouloir trop vite y parvenir, c'est brûler une complicité naissante et se gâcher la jouissance d'un parcours à accomplir ensemble. Chercher à le maintenir trop longtemps, avec tout ce qu'il comporte de dangereux, c'est épuiser les deux partenaires, les vider de toute leur énergie… car le subspace en est grand consommateur, pour la soumise comme pour le dominateur.


[1] Voir, sur ce sujet, le point de vue du Squale relatif aux effets de l'endorphine sur une vision du subspace plus chimique : http://bdsm.info.free.fr

[2] …et si on les met dans une même pièce, elles s'entretueront : dans la sexualité classique, où l'on n'entend guère parler de « vrais » amants, on agresse très rarement son voisin au prétexte de différences de perception quant au mot « volupté », par exemple. Dans le monde du BDSM, au contraire, on s'écharpe à longueur de journée sur ce genre de détails. Mais puisqu'on y trouve de « vrais » Maîtres et de « vraies » soumises, alors…

[3] À mettre en parallèle avec les expériences sur la soumission à l'autorité de Milgram : le process définissait qu'à un sujet refusant d'aller plus loin, l'« examinateur » en blouse blanche répondait, dans l'ordre : « l'expérience exige que vous continuiez », puis, au second refus : « continuez, j'en prends toute la responsabilité », ce qui permit de tester la propension de l'être humain à faire n'importe quoi, pourvu qu'il sente sa responsabilité personnelle dédouanée.


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