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Assumer…

Comment on choisit d'assumer son envie – ou comment l'on en vient à ne pas la refouler… pas d'arguments, juste un itinéraire parmi tant d'autres...

On colporte beaucoup le ridicule de l'image du directeur d'entreprise, chargé de hautes fonctions, qui se déguise le soir en soubrette pour aller se faire fouetter par sa divine maîtresse moyennant la moitié de sa paie de la semaine. Mais au-delà de ça…
Est-il vraiment plus facile pour un petit employé sans responsabilité d'accepter l'affront qu'il fait lui-même à sa virilité lorsqu'il fantasme doucement en rêvant à cette paire de talons aiguilles sur ses testicules, aux insultes abjectes qu'il aimerait tant entendre ? Est-il facile pour une femme – chargée de hautes obligations ou non – de considérer son reflet dans un miroir, le lendemain matin, après une nuit où elle s'est soumise à la hauteur de ses attentes, après une nuit où elle n'a pas fait moins que renier tous les préceptes d'égalité sexuelle qui lui tiennent pourtant tant à cœur, après une nuit où elle a éprouvé et montré du plaisir dans sa soumission ? Et celui-là, qui vient de jouer à dominer sa partenaire aimée, lui sera-t-il facile de la regarder en face, ensuite, ne verra-t-elle pas en lui quelqu'un de différent, d'abjecte ?
Assumer… oui, mais au-delà de ces questions, à quelle fréquence ? Lorsqu'on parle de sexe, j'entends parler de drogue… alors, comment éviter l'escalade ?

Avant d'aller plus loin, j'aimerais donner ici une explication quant à ce qui attire, ce qui m'attire en tout cas, dans la rationalisation que j'ai pu me faire depuis mon enfance sur ces goûts sexuels que je n'ai pas choisi…
Mon but dans ce texte n'est pas de faire de la sémantique, et ceci n'engage que moi, mais je n'adopterai pas le terme SM pour décrire mes besoins[8]. J'y entends trop « Souffrance », « Mal », alors que je n'ai pas d'attirance pour la douleur proprement dite. Le mot SM évoque un peu trop à mon esprit ce personnage de Sacher-Masoch devant sa Vénus à la fourrure, qui se sent n'être rien, et la voit avec délice comme étant Tout – je n'adhère pas à cette idée de réduction à rien, pas plus que je ne supporte l'idolâtrie que certains adorent nourrir envers la personne dominante.
Du SM, j'adopte par contre bien volontiers tout le folklore extérieur, les tenues, l'imagerie des accessoires de torture, le protocole, les notions d'obéissance et de punition, tout ce qui, en bref, peut paraître aberrant à des gens aux goûts normaux.
J'aime, je suis irrémédiablement attiré par tout cela depuis mon plus jeune âge. Mes plus lointains souvenirs d'envies sexuelles déviées vers ces destinations se situent aux alentours de mes huit ans, à travers des films, des images... Et Dieu sait si je me rendais compte, déjà, que c'était mal.

Enfant, je désespérais d'avoir une érection devant la représentation féminine d'une simple paire de fesses. Je considérais, certes, ces courbes admirablement belles, émouvantes, mais… puisque l'on montrait ces corps banalement nus dans les magazines coquins, c'est que leur vue provoquait bien quelque chose chez les gens normaux, qu'elle devait leur suffire… chez moi, que cette paire de fesses soit surmontée d'une paire de poignets emprisonnés dans une paire de menottes, dussè-je les ajouter mentalement, et la chose se produisait. C'était là que se trouvait ma maladie.

Si à l'heure actuelle, les pages centrales de revues pour adultes ne me procurent toujours pas d'excitation palpable, pas plus que la vue d'un film érotique ou pornographique – ou même, du striptease d'une inconnue sous mes yeux – je sais par contre ce qu'à l'époque je ne pouvais percevoir : que je touche ces rondeurs de la main, que cette inconnue qui se déhanche en ôtant ses habits tourne la tête dans ma direction, que je lise un attrait pour moi dans son regard, et le quelque-chose se produira. Sans menottes, sans folklore ni fantasme inavoué. Je suis un homme.
Je peux faire l'amour – vraiment l'amour – sans artifices ni Viagra, pourvu qu'une condition, une seule, soit remplie – celle-là même qu'enfant je ne pouvais deviner, masturbant désespérément mon sexe mou devant des photos de modèles nus en espérant qu'un déclic interviendrait en moi… cette condition est toute simple, et réside dans ce message d'attirance que ne peuvent me transmettre des photographies ou des films ; ce prérequis, c'est que la belle doit montrer une forme spontanée d'intérêt à mon égard. Le feedback m'est nécessaire, je suis ainsi fait. Au premier oui qui m'a été dit, accompagné de ce premier regard à mon adresse, je ressentis enfin ce déclic, qui me fit aussitôt entrevoir la possibilité pour moi de devenir normal, et l'espoir d'une vie ordinaire…

Alors, normal, pas normal ? La vue, la pensée d'une femme attachée aurait-elle eu pour effet de remplacer ce feedback ? Une créature entravée ne peut se refuser à moi ; peut-être était-ce simplement une peur de l'autre sexe qui avait dirigé ma déviance ? Enfant je ne pouvais concevoir que celle qui me dirait oui m'exciterait, alors je préférais faire d'une victime l'objet de mes désirs ? Non, car mes aspirations étaient partagées entre des envies personnelles ambivalentes de soumission et de domination. Dans un cas comme dans l'autre, c'était l'action, l'esthétique ; l'ambiance SM et le jeu des esprits, qui m'attiraient. Je n'ai jamais de toute façon dégradé l'image féminine dans mes rêves nocturnes pour en faire un simple objet de mes assauts, non : chaque fois, en imagination déjà, je ressentais autant de jouissance à son plaisir qu'au mien, et c'était dans ce partage que le quelque chose montait.

Aujourd'hui rien n'a changé, si ce n'est la réalisation de ma normalité partielle, et le fait que mes fantasmes ont pris vie. Tout comme je ne serais probablement pas un bon client pour les prostituées – sauf si elles sont capables de rétroaction sincère –, je n'éprouverais certainement rien à me faire le dominateur d'une partenaire qui n'y trouverait pas réponse à ses propres attentes.

Je n'aurais aucune satisfaction à dominer une femme qui se soumettrait sans plaisir. Je pense que cette phrase résume, mieux que tout, ce que je pourrais dire à propos de mon goût pour le SM.
Malheureusement, aussi fleurie que puisse être cette notion, elle aura également été mon fardeau depuis l'enfance – car une pensée a toujours été ancrée en moi : de telles femmes n'existent pas. Le concept même d'une femme trouvant son plaisir érotique dans la soumission, j'en étais persuadé, était une invention masculine, un pur rêve de mâle et rien de plus.
En y songeant aujourd'hui, j'imagine que la découverte de mes premières pulsions sexuelles, leur force en moi, m'a conduit, enfant, à juger et condamner les hommes tout comme je me jugeais moi-même : tous des obsédés. Quant à elles… toutes de douces innocentes qui ne pensent pas au sexe.
Les mannequins dans les magazines ou les films pour adultes ? Actrices payées par des mâles, destinées à être vues par des mâles. Un homme et une femme font l'amour ? L'un en tire la satisfaction animale de la chair, quand l'autre y trouve et y donne ce qu'elle croit être le témoignage de doux sentiments.

Dans ce contexte, que faire alors de ces besoins que je ressentais en moi ? Je n'éprouverais aucune joie à soumettre une femme qui n'y puiserait pas son propre plaisir… Dommage[9], mais en mon esprit, le concept était assez clair : dominer une partenaire absolument consentante, mais simulant de ne pas l'être, ou n'osant pas l'obéissance, tout simplement. Puis au final, ma satisfaction dans la volupté que je lui procure. Or, cette femme n'était qu'une utopie dont je me berçais, et je n'avais, pour ma part, pas d'aspirations criminelles, pas d'envies de viols, d'enlèvements ou pulsions de ce genre.
Il me fallut donc me rendre à l'évidence : l'objet de mes désirs n'existait pas. J'étais, au bout du compte, tout simplement victime d'une déviance cruelle dans ce qu'elle ne pouvait avoir de matérialisation réelle, mon complément idéal étant une chimère et rien d'autre.[10]

Cette conclusion terrible, qui me vint alors que j'étais encore très jeune, je la sentis de longues années en moi comme une forme de malédiction incurable. Elle me hanta au collège, me poursuivit au lycée, pour m'accompagner aux commencements de ma vie d'adulte.
Entre-temps, puisque mes fantasmes n'avaient manifestement aucun rapport concret à la réalité, je les avais laissés avec dépit suivre le fil de mon imagination, où qu'ils souhaitent m'emporter. L'idée d'une femme réellement non consentante comme objet de ma libido m'étant douloureuse, de tourmenteur je passais bien volontiers dans mes scénarios nocturnes au rôle de tourmenté moi-même, ou de la tourmentée pour être plus précis…
Je pense au fond que ma propre position dans ces rêves sexuels n'a jamais été claire à mon esprit. Je rêvais d'être attaché moi-même. Je pouvais tout autant m'incarner dans le dominant que dans sa proie, puisque j'étais le metteur en scène. Cet objet de mes désirs qui ne pouvait exister, j'en assumais personnellement le rôle, par défaut – tout autant que j'en étais le dominateur. La seule condition à respecter était que la victime soit femme, assujettie à un homme, et moi je n'étais ni l'un ni l'autre, j'étais les deux, peu importait, car ma volupté se nourrissait du jeu relationnel, mon plaisir de dominant résidant avant tout dans l'idée que je me faisais des pensées de la soumise.

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Est-il besoin de le dire ; cette situation me fut pénible. Pourquoi avais-je été infecté par cet étrange virus ? Mon avenir même était en cause : allais-je, comme ces douces innocentes que j'imaginais ne faisant l'amour que par pur sacrifice, devoir opter pour une union à demi consommée ? Finirai-je par trouver compagne avec qui je ne partagerai qu'une partie de mes envies, pour lui cacher l'autre entièrement ?


Tant bien que mal, je survécus. Étrangement, ni la presse SM spécialisée, très sommaire en France, ni l'arrivée de l'internet avec ses sites et forums de discussion dédiés au SM, ne m'aidèrent à comprendre mon erreur sur les réalités de la libido féminine[11]. Ces médias contribuèrent, certes efficacement, à alimenter le feu de mes pulsions, mais non, les femmes amatrices de soumission, de bondage[12] pour être exact, n'existaient pas dans la vraie vie – j'en étais si certain, que je ne me posais même plus la question.
Bien entendu, il y avait des femmes masochistes, mais ça, le goût pour la douleur, c'était à priori une maladie bien distincte de la mienne… Le masochisme, pour ce que j'avais pu en conclure, relevait du SM… et même si j'y voyais assurément des similitudes avec mes propres désirs, j'en considérais le fond comme tout à fait différent…
Le SM, à mon esprit, c'était l'image du directeur d'entreprise, chargé de hautes fonctions, qui se déguise le soir en soubrette pour aller se faire fouetter par sa divine maîtresse moyennant la moitié de sa paie de la semaine… Tandis que moi, je savais ce que je ressentais, et ça me paraissait humain ; mes envies n'étaient pas aussi sommaires et ridicules que cette caricature de relation dont on entendait parler ici ou là, et elles n'avaient certainement rien en commun avec les histoires malsaines, cruelles et dangereuses que la rumeur colportait en général sur le SM…

Ainsi, moi qui étais atteint de cette maladie étrange appelée sadomasochisme, je ne pus pendant des années en reconnaître les symptômes tant l'imagerie populaire ne me renvoyait qu'à-priori et stéréotypes ; clichés stupides aussi erronés que négatifs.
Le SM dont nous abreuvent les médias n'existe pas ailleurs que dans l'imagination collective, sous la forme d'une pathologie hallucinatoire à laquelle aucun malade ne pourra jamais s'identifier. Et cette farce universelle, pour avoir le mérite d'alimenter les fantasmes populaires des deuxièmes parties de soirées télévisuelles, continuera longtemps à faire culpabiliser des gamins qui ressentent en eux un instinct proche de ce SM que les foules diabolisent.[13]

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Le temps passa doucement pour moi, qui, au travers de mes rencontres, me poussa d'abord à revoir mon jugement sur les appétits sexuels des femmes. Je compris ensuite que si aucune parmi celles-ci n'aimait naturellement le bondage, le plaisir sentimental de partage dans un couple pouvait, à défaut, spontanément conduire chaque partenaire à explorer et satisfaire les fantaisies de l'autre, comme on offre un cadeau. Des jeux de lien, en amour ? Bien sûr, pourquoi pas ?
Avec un naturel déconcertant, je vis les démons terribles de ma jeunesse prendre doucement l'apparence de petits monstres de dessins-animés.
Les femmes ressentent des pulsions sexuelles aussi fortes que nous. Certaines peuvent en outre très bien accepter des désirs déviants de ma part, comme une forme banale d'envie de… câlins, que chacun éprouve à sa manière. Ne me restait plus qu'une découverte à faire…
Les femmes attirées par le bondage existent. Tendances fétichistes, soifs de soumission, tentations complexes ; oui, certaines de ces douces créatures sont sexuellement excitées à l'idée d'être dominées… besoin particulièrement perturbant lorsqu'on incarne le sexe faible, d'ailleurs.[14]

Je découvris que les femmes aux goûts complémentaires des miens existaient bel et bien.
Ainsi ma malédiction n'en était pas une : l'héroïne de mes rêves coupables ne se résumait donc pas en une simple chimère… Combien, combien vivaient comme moi, cachées ?
Et combien y en a-t-il, qui se refusent jusqu'aux fantasmes de soumission, et jamais ne s'avoueront leurs propres désirs ?

 

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[8] Ce qui est un peu faux-jeton de ma part, comme on le verra par la suite. Je n'ai jamais compris pourquoi les gays n'aimaient pas le terme homo, mais force est de constater que je n'ai jamais entendu des amateurs de BDSM prononcer le mot « SM ». Cet état de fait est probablement dû à une différence de dialecte d'un côté et de l'autre de la frontière, lorsqu'on pénètre les contrées des déviances.

[9] Dommage, oui… tout simplement parce que si j'avais été animé de pulsions malfaisantes, j'aurais au moins su ce que j'étais, et le choix, certes difficile, de l'inhibition se serait imposé à moi.

[10] Commentaire très pertinent de ma rédactrice en chef, qui aime à faire travailler ma matière grise plutôt que me donner simplement les solutions prédigérées : pourquoi certains individus s'en arrêtent-ils là avec satisfaction ? Ma réponse : parce que cette conclusion ouvre la porte au refoulement inconscient : « il n'y a pas de femmes amatrices de bondage, donc je n'ai pas besoin d'aller en chercher, et plus besoin de me creuser les méninges. » C'est diablement confortable – le seul effet indésirable en est une frustration permanente.

[11] Il faut bien dire qu'en 1994, il y avait à peu près autant de vraies représentantes de la gent féminine sur l'internet, que de femmes travaillant sur des postes à souder à l'époque de Flashdance. Ce qui ne m'aida pas, et me conforta dans mes jugements sur les différences de libidos entre les deux sexes.

[12] Mes lectures me firent découvrir rapidement John Willie et sa Gwendoline, ainsi que le terme bondage, qui, au-delà de son sens anglais initial, évoquait l'aspect érotique des liens et de la contrainte, sans références à la douleur. À mon sens moins sadique, moins masochiste ; voilà qui semblait bien mieux correspondre à mes envies que l'appellation SM. Bondage devint donc le nouveau nom de ma malédiction.

[13] Tempérons : oui, ce SM dont nous abreuvent les médias existe. Simplement, si les journalistes nous parlaient du vin de Bordeau comme ils le font du SM, nous ne verrions que des images de personnes qui en boivent six litres par jour.

[14] Lorsque j'y songe… être une femme, parvenir à éviter le refoulement de telles pulsions, d'abord, puis ensuite en venir à assumer ses envies de soumission… quelle force faut-il…


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