Préambule
Je suis un adepte de SM, comme on dit.
Ces simples mots suffiront, assurément, pour évoquer à l'esprit de personnes aux aspirations sexuelles différentes des miennes, quantité d'images plus ou moins justes… Or, les stéréotypes sont parfois meurtriers.
Mon but dans les pages qui suivent n'est pas de rallier le lecteur à mes goûts, mais de lui faire entendre ma cause…
Si j'étais ce Sénégalais, produit de mon imagination, qui emménage dans le Paris des années trente, je n'attendrais pas de mes voisins qu'ils changent la couleur de leur peau. J'aimerais ne pas avoir à vivre caché, et, au-delà d'être toléré, je serais heureux qu'ils admettent mes différences et me respectent en tant qu'individu.
Ayant obtenu cela, peut-être, à la nuit tombée, me surprendrais-je alors à rêver d'un temps futur où ce voisin, qui m'a maintenant accepté, en viendrait à me défendre, en mon absence…
Il y aurait ce dîner ; des hommes blancs, des femmes blanches. Des enfants blancs. Tous paisiblement attablés. Puis la conversation, qui filerait bon train, basculerait soudain sur le sujet des gens de couleur.
Dans cette France du début de siècle, nul doute que les clichés d'infériorité raciale feraient surface au fil du dialogue… sans nécessairement songer à mal, ne vous y trompez pas, mais tout bonnement faute de penser.
Faute de penser, l'un dirait : « Le cantonnier de mon quartier est noir, mais il a une très belle philosophie de la vie. » Et les enfants entendraient. À défaut d'y avoir réfléchi, un autre déclarerait : « Il paraît qu'en Afrique, l'eau est si impure qu'elle ne peut être bue que par des indigènes… ou des animaux. » Et les enfants entendraient cela, aussi.
Le discours général ne serait pas forcément hostile ; seulement empreint d'idées préconçues, reprises ici et là, et jamais méditées. Alors, dans ce songe, mon voisin se lèverait pour prendre la parole. Sans essayer de défendre quiconque, il inviterait simplement l'assemblée à chercher l'origine de ces préjugés, à les remettre en doute… et surtout à ne plus colporter de ces pensées toutes faites qui ne proviendraient ni de leurs réflexions propres, ni de leurs expériences personnelles.
Ce parallèle entre le racisme et la peur des sexualités différentes pourra, à juste titre, choquer le lecteur ; aussi n'irai-je pas trop loin dans cette voie. Il y a, c'est évident, des injustices bien plus graves que les incompréhensions liées aux mœurs sexuelles.
Mais le fait est, je suis un amateur de SM, et je dois m'en cacher.
Mon goût pour le SM fut la malédiction de ma jeunesse, la maladie qui m'affublait, mais dont je ne pouvais souffler mot, fût-ce à mes parents… à dix ans, je siégeais à cette table de blanc. J'étais noir, mais seul à le savoir. Alors, on parlait librement en ma présence.
Bien sûr, la conversation n'a jamais porté directement sur le sadomasochisme. Simplement j'entendais de ces clichés, par-ci, par-là… et puis, une image à la télé, un article dans le journal, venaient régulièrement nourrir les stéréotypes, tout comme les adjectifs « maso » ou « sadique », désormais suffisamment usuels pour qu'on ne passe pas une semaine sans qu'ils soient prononcés dans notre entourage immédiat.
Faute de penser, les gens ne colportaient guère sur le SM que des représentations humiliantes et dénuées de tout sens… Moi, j'avais honte. Je me serais coupé la main droite, je me serais volontiers percé un œil, pour être enfin débarrassé de cette maladie – qui, au vu de ces pensées préconçues dont j'étais moi-même abreuvé, me semblait extrêmement grave.
Je suis adulte, et si je n'ai jamais guéri de cette affection étrange, je sais aujourd'hui ce qu'enfant, on n'aurait pu m'enseigner : ma pathologie est absolument bénigne. Aimer le SM n'est pas plus dramatique qu'avoir une couleur de peau différente ; le seul mal étant produit de l'incompréhension, et de la nécessité de se cacher qui en découle.
Ce document n'a ni la vocation, ni la prétention, d'être une thèse sur le sadomasochisme – encore moins une étude psychologique. Dans les pages qui suivent, je vais disserter sur cet aspect de ma sexualité, qui a tant influencé ma personnalité, en couchant sur le papier des réflexions qui sont purement miennes. Souvenirs d'enfance douloureux, joies d'adulte et conclusions personnelles, que je ne voudrais pas voir se perdre dans l'oubli…
Mon bien-être actuel n'exclut pas ce que je considère être une dette de mémoire envers les tourments de ma jeunesse… il y a forcément, à l'heure où je rédige ces mots, nombre d'adolescents qui, comme moi jadis, ne s'expliquent pas leurs propres désirs. J'aimerais bien pouvoir leur parler, les rassurer, mais je n'en ai ni la responsabilité, ni la compétence. Aussi, plus qu'aux enfants, c'est aux adultes que je me sentirais le devoir de passer un message…
Découvrir, c'est comprendre. Appliquer l'estampille « pervers sexuel » à tout ce qui vous est méconnu, c'est la voie de la facilité. Avant d'utiliser à la légère des mots comme « sadomaso », songez que votre interlocuteur pourrait être de ceux-là, et qu'il le vit peut-être très mal. Ne vous rendez pas coupables d'un faute de penser : informez-vous un minimum, découvrez, puis fabriquez – quel qu'il soit – votre propre jugement.
Dans cette optique, le présent texte sera susceptible, je l'espère, d'apporter un peu d'eau au moulin de personnes qui ne connaîtraient rien du BDSM, mais souhaiteraient tout de même comprendre.
À ceux qui se reconnaîtraient en partie dans mon expérience, peut-être donnerai-je là un simple clin d'œil complice ; message réconfortant pour certains, prétexte ou – qui sait ? – matière à un coming-out BDSM pour d'autres…
Enfin, si dans ces lignes je procure la joie d'une réflexion intéressante à ceux qui, sous une forme ou une autre, pratiquent des jeux de domination, j'en serai ravi – tout comme j'aurai grand plaisir à recevoir les réactions de tous bords.