Fioriture Fioriture Fioriture
Symbole BDSM
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Mes plaisirs étranges

À toi mon ami de toujours, à toi mon amie, à vous mes proches, ma famille, et tous les autres, je vais raconter en quelques lignes l'histoire de ces jeux choquants que j'aime tant…

Quelques règles toutes simples

Le BDSM, c'est un jeu. Sérieux, comme tous les jeux. Dans ce jeu, on convient que l'un fera tout ce qu'ordonne l'autre, pendant un temps donné. Cette simple idée de suggérer le jeu, ça fait exactement comme entre adolescents, lorsque quelqu'un propose de jouer à Action ou Vérité ça picote, ça titille. D'autant que si, dans ce dernier, l'on s'attend un peu à quelques questions délicieusement privées, à l'éventualité de gages un peu émoustillants ou érotiques, on peut être certain qu'à Soumise et Dominant, la connotation sexuelle sera bien de la partie.

Voilà, la règle est posée, et s'arrête là. En ce qui me concerne, n'importe quel couple qui se lance dans ce jeu pour cinq minutes, fait du BDSM pendant cinq minutes.
L'intérêt ? Contrairement à l'apparence première, la personne qui se soumet est reine, dans une certaine mesure ; tout lui est dédié, puisqu'elle n'a à décider de rien, sinon se laisser aller à ses fantasmes. Elle peut être certaine, dès lors que la partie commence, que toutes les actes de l'autre, directement ou indirectement, seront tournés vers elle. La personne qui domine, si elle surmonte l'appréhension d'avoir à prendre toutes les initiatives[19] et ose comme il se doit, va pouvoir orienter l'action à son gré, explorer les réactions de sa partenaire, pour tenter de créer une alchimie à deux.

Le jeu est complexe. Dans le cadre d'un nouveau couple[20] s'essayant à Soumise et Dominant, la femme aura beau jeu de se savoir innocente : si la suite est à son goût, elle pourra toujours s'abandonner au plaisir tout en se disant qu'aussi coquins soient-ils, les actes auxquels elle se livre ne sont pas de sa faute, puisqu'elle ne fait qu'obéir à l'autre. Que le jeu prenne un tournant qui lui déplaît, et elle pourra stopper, accabler son partenaire de reproches. L'homme, de son côté, va immédiatement percevoir ces deux possibilités offertes à sa complice, et comprendre que pour lui, le jeu consistera à trouver ce juste-milieu où la soumise d'un moment devra être prise entre la volonté de s'en arrêter là – honte, inconfort, difficulté à obtempérer, etc. –, et le désir sexuel qui la poussera à continuer.
Que le plaisir s'amorce, et une spirale subtile prendra place, simple et sensuelle… Pour que sa volupté puisse durer, elle n'aura d'autre choix que jouer le jeu et obéir. Pour que le jeu se poursuive, lui devra préserver la soumission de sa compagne… et à cet effet, maintenir le plaisir en elle.

Voilà ce qu'est le BDSM à mes yeux – la rencontre de deux individus, leur exploration mutuelle à travers des règles sommaires, des regards, des sous-entendus et des non-dits, et toute la complexité de l'esprit humain doué d'empathie. L'un et l'autre vont avoir des réactions influencées par leur propre perception de ce que le partenaire pense, et la partie d'échec est commencée, sans gagnant ni perdant à venir, avec les bonheurs du sexe et de la découverte de l'autre à la clé.
L'anticipation, l'imagination, sont les portes de la volupté sexuelle. Que l'ordre de fermer les yeux tombe, par exemple, et c'est tout un monde qui s'ouvre : que pense-t-elle… que fait-il, quel est ce bruit… elle doit imaginer que je m'apprête à…, je vais faire plutôt faire… cela… et attendre sa réaction…
Le concept que j'évoquais précédemment prend forme : la soumise éprouve la satisfaction d'être le centre d'intérêt, l'objet de tous les honneurs ; félicité délicatement épicée par son imagination et l'appréhension qu'elle peut y puiser, tandis que l'excitation monte. Le dominant va, pour sa part, découvrir avec surprise que ses pulsions sont finalement très complémentaires des attentes de sa compagne ; que les hommes et les femmes ont, en fin de compte, des goûts très en accord, ainsi qu'une mesure toute commune dans les envies. Comme pris dans une danse, les partenaires peuvent alors progressivement s'abandonner à la musique de leurs sensations, lui prenant plaisir à conduire d'un pas qu'il souhaite expert, elle savourant de se laisser guider en confiance… l'empathie est à son comble, la conscience d'être ensemble, complices lancés dans un jeu un peu ridicule, un peu interdit, aide les barrières individuelles à tomber… seuls les sens demeurent en éveil, se mêlent, rapprochant les amants au point parfois de les mener à ne plus faire qu'un, dans une symbiose aussi rare que délicieuse.

On pourrait développer énormément sur ces simples points ; je vais m'y essayer sur quelques détails.
J'ai parlé de la satisfaction de la femme, dans cet exemple, à se maintenir « blanche colombe » dans l'acte sexuel. Même exposée un peu brusquement, je crois cette inquiétude féminine aussi réelle qu'importante. On l'évoque d'ailleurs fréquemment dans des études sociologiques.
S'il est, à l'opposé, un point dont on entend moins souvent débattre, c'est l'angoisse toute masculine qui consiste à avoir peur d'être pris par sa partenaire pour un obsédé sexuel...
Nous vivons depuis bien longtemps dans un contexte où pour l'essentiel, en matière de sexe, l'homme propose et la femme dispose. Cet état de fait, conjugué à tout ce qui est dit sur la difficulté qu'ont certaines femmes à atteindre l'orgasme, pousse l'homme à s'interroger – beaucoup – sur les différences entre libidos masculines et féminines…
Le jeu BDSM a cela de libérateur qu'il crée un contexte où chaque protagoniste va pouvoir se décharger sans honte de ces tabous, pour jouir librement de sa libido, tout en se délectant du plaisir de l'autre.

Soyons honnête ; si le BDSM se résumait à cette simple description, on l'appellerait tout bonnement « le sexe », on baptiserait le jeu dominant – soumise un soixante-dix, et je ne serais pas en train de vous parler d'une déviance sexuelle, mais d'une recette de cuisine amoureuse. Quoi qu'il en soit, le processus cérébral que je viens d'exposer en évoquant la règle du jeu, simple, et ses conséquences sur chacun des partenaires, infiniment complexes, constitue pour moi l'essence du BDSM. Tout ce qui s'en suivra ; accessoires, techniques, culture et folklore SM, ne seront que détails d'une autre dimension – qui certes font tout, mais n'apporteraient rien sans cette démarche intellectuelle qui recèle la nature même du plaisir.

Que serait l'innocent jeu de la vérité dont je parlais tout à l'heure, s'il n'avait pas de nom ? Comme on le ferait de n'importe quel jeu de société, on peut assez aisément, à une soirée entre amis, proposer une partie d'action ou vérité. Si le jeu n'avait pas d'existence officielle, par contre, il serait infiniment plus délicat de dire : « j'ai une idée, on va se poser des questions à tour de rôle, et si l'on ne veut pas répondre, on choisit de recevoir un gage, et… »
Le jeu BDSM a ses règles, infinies, variables, avec tout de même quelques constantes, et ce sont justement ces constantes – ou les variables qui le deviennent peu à peu – qui vont en faire monter tout l'intérêt.

Comment obéir ?

Reprenons pour l'exemple ce que je viens d'expliquer, à propos de la personne dominée qui, pour maintenir son plaisir, va se retrouver face à un choix simple, mais délicieusement cruel : obtempérer, ou arrêter. Il y a dans cette obéissance une petite marge : celle qui joue le rôle de la soumise ne va pas se plier uniquement à ce qu'elle aime – ce serait stupide… elle obéira aux ordres qu'elle apprécie, mais aussi à ceux dont les conséquences, sans la rebuter, ne l'attirent pas, pourvu qu'y consentir apporte de la satisfaction à son partenaire. Cette dimension-là est variable, dépendant de sa confiance, de son amour, de sa témérité… à cette marge d'obéissance-cadeau viennent s'ajouter ce que j'appellerai l'obéissance-excitation, et, plus insidieuse, l'obéissance-envie

Le sexe, s'il ne rend pas entièrement aveugle, a cela en commun avec toutes les occupations intenses[21] qu'il possède les facultés de désinhiber, et d'occulter l'environnement à ses participants. On ose un peu plus que l'on ne devrait, les pensées se font moins rationnelles, et certains messages du corps – douleur[22], soif, faim – se voient purement ignorer. Ce processus engagé, une concentration particulière se développe sur l'activité elle-même, où tous les sens se trouvent exacerbés. La perception d'une caresse, d'un simple attouchement, peut alors prendre une ampleur exceptionnelle ; les gestes sont magnifiés, les sensations décuplées, et tout apparaît teint d'érotisme.
Il en va de même en BDSM, où la personne en situation de soumission, incapable ou interdite de mouvement, parfois de surcroît en état de privations sensorielles, n'ayant plus à se soucier de ce qu'elle devra faire, dire, toucher ou regarder, va spontanément sublimer chaque contact sur sa peau, extrapoler sur le moindre bruit ambiant, et tout lui deviendra caresse… à mesure que l'excitation grandit, ce qui n'attirait pas l'instant d'avant se fait objet de désir ; les appétits changent, les goûts évoluent, et c'est par envie, dans le plaisir, que la personne obéit ou accepte de subir de nouveaux traitements érotiques.
Cette obéissance-excitation, aussi agréable soit-elle, évoque immédiatement à l'esprit l'un des risques majeurs du SM : l'escalade. La possibilité effrayante d'en vouloir toujours davantage. Je me contenterai ici de mentionner que cette pente glissante, liée directement à l'équilibre de vie, pour être bien réelle et dangereuse en BDSM, ne l'est pas moins dans tous les autres domaines du sexe ou de l'existence en général. L'obéissance-envie, que je vais décrire maintenant, est par contre plus spécifique au cadre sexuel et amoureux, et présente des risques très particuliers dans le contexte du SM…

Outre l'excitation qui va générer du plaisir dans la soumission, l'attrait – la perspective d'une frénésie plus grande encore – peut mener la soumise à approuver des petites choses auxquelles, rationnellement, elle devrait plutôt s'opposer ; tout simplement parce qu'elle pensera que tuer le jeu à ce moment-là va peut-être lui gâcher un épisode, tout à fait hypothétique, d'intense satisfaction. L'anticipation, le désir, sa propre imagination et ses attentes vont alors la conduire à faire des concessions, à accepter ce que son instinct lui dit de refuser… face à une action à venir susceptible de lui déplaire, un peu, beaucoup, la personne, sous le coup de l'effervescence sexuelle, va devoir résoudre ce dilemme terrible : consentir, en espérant que ce qui arrivera ensuite comblera ses aspirations, ou dire stop, éteindre sa volupté, et faire une croix sur la possibilité incertaine de concrétisation d'un fantasme particulier dans lequel elle plaçait tous ses espoirs.
C'est ainsi qu'à travers des envies inassouvies, la force liée au souhait que celles-ci enfin se réalisent peut finalement mener un individu à perdre tout libre-arbitre. Paradoxalement, plus l'on s'éloignera de l'assouvissement de ces envies, et plus l'espoir s'en nourrira.[23]
J'ajouterai que cette marge d'obéissance entraînée par l'expectation, pour dangereuse qu'elle puisse être, n'en est pas moins délicieuse dans l'impression – ambiguë – de soumission réelle qu'elle génère.

Ces trois facteurs ; l'ambivalence produite par la satisfaction du cadeau que l'on offre à l'autre, le plaisir personnel, et l'espoir placé dans la réalisation de ses propres vœux secrets, conjugués à l'excitation générale, créent un cadre où le jeu, abolissant l'environnement, repoussant toutes limites, justifie son existence pour prendre forme et réalité.

Ces paramètres à l'esprit, reprenons donc ce que je venais d'expliquer, et imaginons que le partenaire exige soudain d'être appelé « Maître ». C'est irrationnel, embarrassant, mais dans le fond, suivre cette instruction ne coûte pas grand-chose… or, on entre là dans un certain protocole. Du simple jeu, on passe au rite SM. Effrayant, interdit, et pourtant si inoffensif… quel bonheur, de jouer un jeu avec des règles, et quelle joie, de pouvoir identifier ses besoins en sachant que l'on n'est pas seuls, puisque d'autres y ont déjà même instauré des normes.
Il en va ainsi du port ponctuel d'un collier, qui offusque tant les gens, alors que dans la majorité des cas il signifie simplement : « Quand tu portes le collier, on est dans le jeu, tu deviens ma soumise. Dès que je te l'ôte, tout s'arrête et nous redevenons nous-mêmes. »

Punitions et châtiments

La punition fait partie du jeu SM, et de mon jeu BDSM. La première raison en est simple et technique : on peut difficilement dire « tu dois obéir » sans ajouter un « sinon… ». Mais au-delà de ce point, c'est surtout dans l'esprit de celle qui joue le rôle de la soumise que l'on trouve cette nécessité : difficile de s'entendre dire « tu vas obéir » sans entrevoir une bonne réponse à la question : « et alors sinon quoi ? »

La seconde raison est assez intéressante, et moi qui n'ai jamais eu de goûts déviants pour la douleur, je l'ai appris sur le tard : il est des formes de caresses qui ressemblent à des violences. Prenez directement un fouet, un vrai fouet… l'extrémité en passe le mur du son en craquant, il y a de quoi lacérer tout ce qui s'interpose, et le maniement demande un entraînement de longue haleine. C'est effrayant, et en même temps… convenablement manié, on peut l'utiliser pour appliquer sur les fesses des caresses légèrement piquantes qui produiront infiniment plus de peur que de mal et ne laisseront finalement aucune trace.
La mise en scène sera d'autant plus théâtrale qu'elle aura nécessité un long apprentissage de la part du dominant, et la conscience – bien mutuelle – du risque lié à l'utilisation de ce dangereux instrument viendra encore exacerber les sens, entre les frissons de la peur, et la douce chaleur de la confiance offerte.
Quant à la fessée… je ne vais pas chercher ici à en vanter les délices, pour l'un et l'autre des participants, ni à citer les statistiques sur le nombre de femmes qui, prétend-on, en rêvent[24].

Folklore SM

Ces détails du contexte étant placés, on peut en venir à ce qui, du BDSM, choque peut-être le plus : les accessoires. Le fait est que lorsque deux personnes ont établi une complicité suffisante pour s'adonner sans honte au genre de jeux que je m'applique ici à dépeindre, il n'est pas trop difficile d'en profiter pour se lâcher aussi dans le registre du fétichisme.
Les hommes, par exemple, apprécient souvent les petites jupes pour leur partenaire, les talons, les bas, la lingerie, les corsets, tout ce qui marque les différences de sexe et de morphologie. Les femmes, pour leur part, ne détestent pas nécessairement revêtir ce genre d'atours, pourvu que l'opportunité s'en présente, et si l'image qu'elles pensent renvoyer n'est pas négative.
Puis au-delà des vêtements classiques, des matières comme le cuir, le latex, le vinyle, peuvent attirer l'un ou l'autre ; le dominant peut offrir et imposer un article qui le fait craquer, mêler cela à l'alibi BDSM… la soumise peut, à son tour, faire la surprise à son partenaire d'une nouvelle tenue qu'elle aurait de toute façon adoré porter mais sans jamais l'oser, et pour laquelle aucune occasion autre que celle du jeu n'aurait été appropriée.

Au risque de tomber dans un cliché, je vais prendre le cas d'une femme qui aurait depuis toujours une sorte d'envie, peut-être un peu malsaine à son goût, de se prostituer. Le divertissement estampillé BDSM peut lui servir de prétexte, pour, l'espace d'une soirée, se parer des toilettes les plus outrageantes, et s'amuser avec son complice à reproduire une scène de maison close ; quel mal y a-t-il à incarner cela dans l'intimité ?
Maintenant, je vais imaginer qu'un proche, qui les connaîtrait tous deux, arrive soudain et les surprenne dans cette scène, où l'un demande à l'autre, en minijupe et dessous affriolants, d'écarter les cuisses dans une pose vulgaire qui lui fait honte tout autant qu'elle la ravit ? Quel sera le jugement de ce proche, alors que ces deux là ne font rien de mal ? Quelle est l'étendue du crime réel, si on le compare par exemple à celui d'un homme qui fait l'amour à sa femme en pensant à une autre ?
En BDSM, c'est une règle : les apparences sont toujours contre les participants – deux êtres se procurent un plaisir consensuel, mais vu de l'extérieur, ce plaisir semble systématiquement malsain… d'autant plus que ce genre de spectacle sera particulièrement susceptible de raviver d'éventuelles frustrations à l'esprit de l'observateur. Celui-ci trouvera alors plus confortable pour sa conscience de juger les protagonistes comme ayant passé une limite inacceptable, plutôt que reconnaître là une complicité à laquelle il a longtemps rêvé.

Jouets SM ; fétichisme, et délices dans l'entrave

Pour parler des accessoires, j'ai commencé par aborder les vêtements. Or, le plus dérangeant à voir, c'est certainement les autres accessoires. Le fouet, que j'ai déjà mentionné, bien sûr. Le collier. Les bâillons, les chaînes, les pinces à seins. Et puis les bandeaux, cagoules, menottes, cordes, bougies, et aussi pourquoi pas, les cages, les croix de Saint-André, les slings… les vibromasseurs, les plugs anaux…
Sur ces derniers, les instruments « classiques » de sex-shop, mon jugement est le même que pour le fétichisme : on profite d'un contexte sexuel, d'une connivence, pour se laisser aller à des plaisirs qui ne sont pas nécessairement liés au BDSM, mais que l'on a l'un ou l'autre envie d'explorer. Quant aux autres accessoires mentionnés… tout ici joue sur une notion que je n'ai pas encore abordée : l'entrave, la perte physique de liberté – par opposition à celle, purement morale et simulée, inhérente au jeu.

Être attaché, se voir privé de mouvements, se sentir livré et exposé… composé essentiel des activités BSDM, les pratiques de liens en révèlent tout le fondement. Offrir son corps nu à l'autre, c'est lui montrer sa confiance absolue, c'est se procurer le frisson de se dire que pour le coup, le partenaire peut tout faire, absolument tout, et qu'il est trop tard pour reculer.
Pour le dominant, voir sa compagne faire le présent de son corps attaché, c'est recevoir un cadeau exceptionnel… Non seulement tout est dès lors possible, puisqu'il prend possession physique de sa complice, mais il en obtient aussi, de surcroît, la caution morale. Car en lui cédant sa liberté, elle n'a pas moins transmis que le fier message : « Je suis dans un état d'ouverture sexuelle. Si je suis l'objet de ton désir, sache que tu es le mien, et vois : je m'offre à toi, et tout ce que j'attends maintenant, c'est les frissons de la jouissance. »

Offrande merveilleuse, et responsabilité terrible… Le jeu dominant - dominée prend soudain une dimension réelle, sérieuse, car, sitôt le dernier lien resserré, le choix ultime d'en interrompre la partie ne repose plus qu'entre les mains de celui qui est dans le rôle du dominateur.
Les deux le savent. Bien sûr, la personne entravée pourra toujours décider d'arrêter. Mais se libérer d'elle-même, non. Quoi qu'il advienne alors ; angoisse soudaine et extrême, malaise, irruption d'un visiteur[25], accident, et quels que soient les moyens qu'elle mettra en œuvre pour s'en sortir ; gesticulations, intimidation, suppliques, menace, scène de ménage, dès lors que la soumise a consenti à se faire attacher, l'acte qui consistera à mettre réellement fin au jeu n'appartient plus qu'au dominant, et à lui seul.

Cette dernière notion est, bien entendu, horrible… imaginer un couple jouant au BDSM, la dominée accepte les entraves, puis prend soudain peur, se sent mal, demande à son partenaire de la détacher, et l'autre refuse.
Idée cauchemardesque qui, pour ne faire aucunement partie du jeu BDSM, en alimente néanmoins délicieusement les fantasmes, tout en illustrant concrètement l'immensité du présent ainsi offert par les liens.

Comme je l'ai dit précédemment, l'anticipation, l'attente, sont parmi les composantes essentielles de l'intérêt sexuel : ce qui est possible a souvent plus de poids que les faits eux-mêmes. Peu importe ce qui va se passer ; ce qui compte, c'est la situation actuelle, les possibilités qu'elle ouvre, et les projections fantasmatiques que l'on déploie soi-même sur ces possibilités.
Ainsi, dans ce genre de jeu, aussi forte de personnalité que puisse se sentir la soumise,[26] ne résistera-t-elle peut-être pas à la douce tentation de songer que si l'autre refusait de la libérer, s'il décidait de lui faire endurer un traitement auquel elle s'oppose, toute la force de son charisme n'y ferait rien : elle est véritablement exposée, et sans défense.
Enfin, si besoin est, l'agacement d'un nez qui démange, une soif subite ou l'envie d'aller aux toilettes seront toujours de la partie pour obliger la personne immobilisée à réaliser l'état de dépendance terrible dans lequel elle s'est placée en acceptant d'avoir les membres attachés.
Je le répète, le refus de libération de la part du dominant n'a aucunement sa place dans le l'univers BDSM, où il aurait tendance à être plutôt considéré comme le pire des crimes. Les simulations et les peurs font, par contre, partie intégrante de ces jeux[27] – à l'exemple du fouet, qui fera beaucoup de bruit mais ne provoquera pas de grande douleur – et les liens en exacerbent les projections.

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Le couple qui, jouant à dominant - dominée, décide sans préparation de tenter l'expérience des liens, va se trouver avec surprise confronté à un problème bien plus considérable qu'il n'y paraît : attacher une personne, c'est infiniment moins simple qu'on pourrait le croire. Faire en sorte que les cordes tiennent solidement, privant efficacement la victime de tous moyens de libération, est un authentique défi. Mais surtout, ne pas la blesser dans ces conditions relève presque de l'impossible. Le corps est ainsi fait, qu'il détient la souplesse d'autoriser toutes les contorsions libératrices, en même temps que la faiblesse de sa circulation sanguine. Un simple nœud sur le poignet, on s'en débarrasse très facilement. Que ce nœud soit un tout petit peu serré, et rapidement, le membre s'ankylose, le sang coagule, toutes les sensations disparaissent alors que la main se meurt à petit feu.
Le danger est là bien réel, infiniment sérieux. En matière de liens, tous les films nous mentent : essayez de garder vos bras tendus au-dessus de votre tête pendant seulement cinq minutes, et vous comprendrez que si James Bond avait réellement passé une nuit avec les poignets accrochés au plafond de la demeure du méchant, c'est pour l'amputer aux épaules qu'on l'aurait réveillé le lendemain matin – à moins de souhaiter le voir mourir de la gangrène dans les jours qui suivent.

C'est à travers cette difficulté que le jeu du BDSM peut apporter, en plus de satisfactions à des envies parallèles, tels le fétichisme ou l'exhibitionnisme, un alibi que je qualifierais d'artistique, intellectuel et culturel : la science des liens[28]. Les Japonais se sont jadis suffisamment intéressés au sujet pour en faire un art, et c'est ainsi que l'on peut entendre aujourd'hui, parmi les groupes de joueurs de BDSM, certains protagonistes étaler leurs connaissances en Shibari[29] comme d'autres disserteraient de peinture ou de littérature.
Oublions ceux-là, et revenons à notre jeune couple qui veut ajouter du piment à son jeu de soumise et dominant en y introduisant les entraves.
Plus simples d'emploi, moins risquées que les liens, on trouve des menottes en cuir dans tous les sex-shops de France et de Navarre[30]. Par rapport à la corde, celles-ci ont l'avantage d'apporter une dimension fétichiste nouvelle ; sensation de la matière sur la peau, bruit des anneaux, odeur, conjuguée encore à un aspect théâtral qui peut dans le jeu voir « la pose des menottes » faire l'objet d'un cérémonial érotique.

Les premiers accessoires BDSM font ainsi leur apparition dans le couple, et les revendeurs ne s'y trompent pas, qui proposent même des « kits de démarrage » à l'apparence volontairement inoffensive pour ne pas repousser les néophytes : le nylon remplace le cuir, les velcros se substituent aux boucles de métal, et ça ne ressemble pas à du SM. Et puisque nos aspirants au bondage découvriront rapidement que bâillonner avec un mouchoir pour priver de la parole n'est possible que dans les Westerns, autant leur offrir aussi des bâillons-boule pour débutants, colorés et souples. Dans le magasin, on les présentera près des martinets en velours, des préservatifs à la fraise et des godemichés roses bonbon. À cela le couple pourra toujours ajouter un bandeau de compagnie aérienne, et quelques pinces à linge pour les punitions.
De nouveau, ces achats à la douce saveur d'interdit vont contribuer indirectement, involontairement mais essentiellement, à la création d'une conjoncture nourrissant l'imagination et l'anticipation, et ces sens pourront s'épanouir bien au-delà des actes eux-mêmes.
J'en suis convaincu ; la libido ne fleurit jamais tant que lorsqu'on se sait dans un contexte où tout est possible – et peu importe ce qui se produira réellement, pourvu que les faits ne viennent pas tuer l'espoir de la réalisation d'un vœux inavouable.
Ainsi l'on trouvera accessoirement monsieur, songeur dans un magasin de bricolage, occupé à rêver de l'utilisation qu'il pourrait faire de ces chaînes afin de surprendre madame – celle-là même qui peut-être, au bureau, s'abandonnera à imaginer des horreurs purement oniriques, mais ô combien émoustillantes… qui pourra le comprendre : ces deux-là seront en train d'accomplir un véritable préliminaire sexuel, en pleine journée, séparément, sous la forme d'un processus imaginatif autorisé par ce contexte où le fantasme ne connaît pas de bride.
Mon but n'est pas par là de faire croire que le monde du BDSM est peuplé d'agneaux innocents dont l'activité principale consiste à laisser leur imagination musarder. Ce que je tiens pour l'heure à illustrer, c'est la dimension générale immense que peuvent prendre l'attente, l'envie, l'espoir, en BDSM comme en amour, et plus particulièrement, dans le présent chapitre, le rôle que servent ces accessoires vus par certains comme ridicules ou répugnants.

Dans l'exemple ci-dessus, lui va peut-être développer un attrait prononcé pour les jouets SM et commencer à vouer à sa collection une passion qui inquiétera sa compagne ; elle qui, de son côté, penchera un peu plus pour les robes en latex ou les bijoux intimes. Les goûts profonds ont en effet toujours tendance à différer quelque peu entre partenaires de jeu[31], mais grâce à ces marges[32] que j'évoquais précédemment, chacun peut y trouver son compte dans des projections fantasmatiques qui lui sont intimes.

C'est ainsi que la femme de ménage pourra surprendre madame – qui pourtant abhorre le folklore médiéval, mais raffole de ses formes exposées dans des tissus brillants – écartelée sur une croix de Saint-André, toute de vinyle vêtue, et bâillon en bouche.
C'est par ces mêmes chemins que l'on retrouvera peut-être monsieur, dans une assemblée de joueurs de BDSM, étaler avec une fierté de philatéliste sa collection de menottes achetées à prix d'or aux quatre coins de la terre.
Oui, les accessoires du BDSM ont une esthétique qui, sortie de son contexte, prête à fuir ou à rire. Et pour ce qui est des plaisirs du BDSM, ils sont certainement tout aussi difficiles à juger par des regards extérieurs…

 

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[19] Les apparences sont trompeuses, là aussi : dominer celle qu'on aime, c'est se mettre à nu bien plus qu'on pourrait le croire – chaque ordre étant comme un vêtement qui tombe. En y songeant, je pourrais presque comparer la domination à une sorte de strip-tease moral, où celui qui dirige ne fait pas moins qu'effeuiller sa libido à chaque parole. Est-il besoin de dire que là encore, une très grande complicité est nécessaire ?

[20] Nouveau ou ancien, habitué au jeu ou non, ces paramètres restent inchangés de toute façon. Pour les besoins d l'exemple, je poursuivrai toutefois en illustrant la situation d'un couple inexpérimenté dans le BDSM.

[21] Je pense par exemple aux activités sportives, ou artistiques – intenses de par la concentration qu'elles exigent.

[22] Courbatures, problèmes de dos voire blessures légères, ressenties après l'acte amoureux parce que le plaisir nous a fait négliger la douleur d'une position sexuelle inconfortable.

[23] Cette terrible faiblesse de l'être humain, porte grande ouverte aux manipulateurs de toutes les espèces, m'apparaît en même temps comme l'excellente illustration de ce que je mentionnais plus haut en abordant les plaisirs du SM : l'impact de l'imagination personnelle est infiniment plus important que les actes – pourtant bien réels, eux – du partenaire.

[24] On pourra d'ailleurs voir le présentateur du journal de 20 heures annoncer sans gêne ce genre de statistiques, sourire en coin… tant qu'il s'agit de la gent féminine. Les hommes, on ne les sonde pas, sur ce genre de question. Bizarrement, il semble que les femmes qui rêvent de fessée, c'est charmant, tandis que les hommes, ce serait pervers.

[25] Une petite note pour décrire ici ce que je baptiserais le très intéressant orgasme du pendu… une personne est solidement arrimée au lit, dans le cadre d'un jeu SM où l'excitation est à son comble. Surgit un importun – disons, un parent. La soumise, horrifiée par l'opposition des contextes, va avoir tout de suite l'instinct de se couvrir… et les liens vont brutalement lui révéler toute l'étendue de son impuissance. Que va-t-elle faire alors ? Très souvent, et bien malgré elle, elle va jouir instantanément…

[26] Et Dieu sait s'il faut s'en connaître, de la force, pour accepter ce rôle

[27] Tellement, que l'on a même jugé approprié de donner un nom – mindfucking – aux jeux de peur et d'angoisse dans la domination.

[28] On pourrait tout aussi bien citer la science du fouet, ou l'art de coudre le cuir…

[29] Pour résumer très sommairement, disons que le mot Shibari désigne l'art et la culture ancestrale du lien au Japon.

[30] Volontairement, je ne parlerai pas ici des menottes de police, ou de leurs reproductions : sans m'étendre dans le détail, je dirai simplement que ce type de menottes en métal est extrêmement dangereux pour des personnes non-averties dans le cadre du jeu SM.

[31] Tout comme dans des relations amoureuses classiques, et c'est heureux.

[32] Je me réfère ici aux marges d'obéissances décrites dans le paragraphe Comment obéir ? : même si les appétits divergent quelque peu, grâce à celles-ci, l'action progressera. Le travail imaginaire des partenaires pourra à son tour discorder légèrement, mais n'en sera pas moins agréable pour autant.


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