Fioriture Fioriture Fioriture
Symbole BDSM
Un petit clin d'oeil à Cyrulnik, Bourdieu, Lemoine, et aux quelques profs qu'il m'a été donné d'entendre...

Dominateurs et mâles dominants

Séparateur

L'être humain, comme toutes les espèces animales ou végétales qui peuplent notre petite planète, ne connaît qu'une ambition dans la vie, qui motive toutes les autres : proliférer.
Techniquement, si mes comptes sont exacts, une femme qui ne chômerait pas pourrait mettre au monde une trentaine d'enfants, dans la période qui va de ses premières règles à sa ménopause. Toujours aussi théoriquement, un homme sexuellement adulte et opérationnel (soit de 12 à 75 ans, selon l'espérance de vie actuelle) pourrait féconder, au rythme aisément soutenable d'un accouplement journalier, environ 23000 femmes dans sa vie – et par là se retrouver autant de fois papa.

23000 enfants pour l'homme, 30 pour la femme : voilà l'espoir silencieux qui alimente les deux sexes. Les premières conclusions qui ressortent de ces chiffres sont les suivantes :

  • Dans la course à la prolifération humaine, la femme est infiniment plus précieuse que l'homme (766 fois plus, donc). On pourrait tout de suite tuer les neuf dixièmes de la population masculine, que l'espèce n'en serait pas en danger pour autant.
  • Si pour l'homme, s'accoupler journellement ne pose aucun problème technique (quelques minutes suffisent, avec en prime un orgasme à la clé), trouver 23000 partenaires semble, en revanche, être une tâche plus délicate. Les moins séduisants ou les plus fainéants pourront toujours, au pire, se constituer un mini-harem de 766 concubines, qu'ils féconderont trente fois chacune.
  • Puisque la nature fait mal les choses, il y a sur terre un nombre à peu près égal de femelles et de mâles humains : entre ces derniers, la compétition va donc faire rage pour la constitution du harem. Les femmes seront l'offre et accepteront le mâle qui leur plaît, les hommes seront la demande et prendront la première qui dit oui – d'autant plus que l'homme, victime des calculs du Grand Comptable, éprouvera, justement, environ 766 fois plus l'envie de faire crac-crac que la femme.

En creusant ces données, quelques problèmes surgissent immédiatement à l'esprit…

La femme enceinte peut subvenir seule à ses besoins, jusqu'à l'accouchement. Mais ensuite… La complexité du cerveau humain impose une gestation de plusieurs années, mais sa taille fait que la femelle humaine se doit d'expulser l'embryon monstrueusement hypercéphale après neuf mois seulement, donnant ainsi naissance au mammifère le moins autonome de la planète. La grossesse va donc continuer, extra-utéro, jusqu'à ce que le petit d'Homme (maudit cerveau, si long à fabriquer) soit enfin fini . Durant cette phase, la mère sera nettement moins autonome elle-même, d'autant qu'elle ne devra plus seulement subvenir à ses besoins, mais aussi à ceux du petit boulet qui vient de voir le jour.
Il va donc falloir compter sur le mâle pour assurer la survie de la progéniture – et accessoirement, celle de la femelle (cette dernière ne serait plus nécessaire, n'eût été les besoins d'allaitement des nourrissons, le soin de les protéger d'eux-mêmes, et les bases d'éducation à la survie qu'il faudra leur inculquer).

Un mâle qui va être 23000 fois papa… comment le garder ? Simple : on a vu plus haut que les femmes n'ont que l'embarras du choix, parmi les partenaires potentiels… autant choisir le winner , donc. Le mâle dominant. C'est-à-dire, celui qui pourra faire travailler les autres à la nourriture de sa propre progéniture.

L'être humain est ainsi conçu, que loin de se reproduire, il s'invente. Point de parthénogénèse ou de scissiparité pour l'homo sapiens-sapiens, qui, comme ses prédécesseurs, recherche avant tout la diversité génétique dans l'accouplement. Fidèles à ces règles de la nature mises en lumière par Darwin, les chérubins nouveau-nés, qui sont tout autant d'inventions, d'expériences, seront soumis aux lois de la sélection naturelle : les plus adaptés au moment survivront. Eux-mêmes en quête de l'exogène, ils assureront à leur tour la pérennité de l'espèce grâce à une descendance constamment réinventée, qui continuera de s'adapter aux conditions de vie toujours changeantes sur cette planète (climat, nourriture disponible, épidémies, etc.)
Quant aux autres, les moins adaptés… on pourrait penser qu'ils meurent, dévorés par les lions, incapables d'attraper les plus hautes branches de l'acacia, ou que sais-je… en fait, plus communément, ils se verront tout bonnement privés de descendance, et leur race inadaptée s'éteindra. Mais par quel sortilège la nature parvient-elle à estimer les propensions à la survie pour la descendance d'un individu donné ?

Cette magie se nomme séduction… La parade amoureuse reste, chez l'Homme comme pour la plupart des espèces, le moment privilégié où l'on exhibe son patrimoine personnel – génétique autant que social – et où l'on jauge celui du partenaire potentiel.
À la femme, on n'a guère, jusqu'à présent demandé de prouver ses capacités à alimenter seule la grotte en nourriture pour ses trente enfants potentiels (s'en montrerait-elle capable, que l'homme deviendrait tout à fait inutile [1]), aussi le physiologique va-t-il l'emporter sur le social dans l'estimation que l'homme en fera : jeunesse, grain de peau, voix, tour de poitrine, rapport taille-hanche, bonne santé… c'est avant tout les caractères sexuels secondaires qui seront jaugés, pour évaluer les capacités reproductrices de la belle. L'intelligence, l'adaptativité , la réussite sociale passeront au second plan : il y a, de toute façon, trop peu de femmes sur cette planète, aussi serait-il fortement inapproprié de se montrer trop regardant quant à des qualités à l'importance tout à fait secondaire dans le processus reproductif final.

L'homme, pour sa part, est pris au jeu des concurrences : nous l'avons vu, dans la course à la prolifération, il y a 766 fois trop d'hommes. Alors, pour les femmes, pourquoi ne pas échantillonner cette population de mâles majoritairement inutiles, et ne prendre que le meilleur dans chaque groupe de 766 afin d'en faire l'étalon reproducteur ?
C'est à peu près la situation dans laquelle nous nous trouvons. Toute la quête du mâle humain consiste donc à se faire passer pour ce 766e individu, l'élu du groupe, le plus adapté au monde actuel ou futur, le plus apte à assurer la pérennité de sa couvée. Et puisque sa tâche essentielle dans la prolifération se résumera à nourrir la progéniture, c'est sur sa réussite sociale que la femme le jugera, plus que sur ses critères physiologiques (sauf tares évidentes qui pourraient nuire à la descendance).

L'Homme est un animal rusé, et il ne faut pas s'y tromper : si la femme triche avec son apparence, l'homme triche plus encore avec les symboles de son succès social… Il n'y a guère de différence dans les raisons d'être, par exemple, de collants amincissants pour les hanches, et d'une voiture décapotable bon marché achetée d'occasion : tous deux servent le dessein de fausser l'information envoyée à l'autre sexe – et à soi-même, naturellement, puisque nous sommes tous victimes d'une programmation qui nous prive régulièrement de libre-arbitre.
Heureusement, tout comme la communication humaine est à 80 pour cent non verbale, l'information sexuelle échangée entre deux individus se fait, pour une grande part à leur insu : intonations vocales, gestuelle, réactions cutanées, odeurs, dilatation pupillaire, analyse des composantes chimiques par différents moyens, dont l'organe voméronasal, liste à laquelle vient peut-être s'ajouter une éventuelle transmission de phéromones (dont l'influence sur l'homme reste toutefois à démontrer).

Tout cela pour ça : assurer la prolifération du genre humain. Des femmes soucieuses de leur apparence, qui indiquera leur aptitude à être fécondées. Des hommes obsédés par l'envie de se montrer adaptés au présent, ou innovateurs pour le futur, dans une compétition permanente, provoquée par leur surnombre, indirectement arbitrée par les femmes, et dont le lot sera la reconnaissance du statut de fécondateur privilégié.

Le mâle dominant… c'est ainsi qu'on nomme cet étalon, et bien sûr, immédiatement, on l'imagine grand, fort, vocal, occupant à lui seul tout l'espace des pissotières pour hommes. Pour l'essentiel, on n'a pas tort, car, si l'on rapportait la présence de l'homme sur terre à l'échelle d'une année, l'ère actuelle, qui ne privilégie pas nécessairement la loi du plus fort, représenterait certainement trois petites minutes, sans grande incidence sur notre programmation génétique, quasiment inchangée depuis trente mille ans.
Dans les faits, par contre, l'homme le plus à même de nourrir une progéniture de 23000 enfants n'est pas le plus musclé, le plus impressionnant, mais tout simplement le plus riche.

J'ai reçu des courriers, j'ai lu de ces témoignages, si fréquents, où celui qui, pour s'être fait dominateur envers sa compagne, se croit soudain un dominant de l'espèce, avec tout ce que l'inconscient collectif peut associer à cette image. D'aucuns en profitent même pour effectuer un pathétique saut dans le temps, se voyant comme les descendants des Chevaliers, de la Race des Seigneurs… j'aimerais leur adresser ce message :

Messieurs. Du calme. Être dominant dans une espèce, ce n'est pas dominer l'autre sexe, mais dominer ses paires. Si vous avez si vite sauté dans la brèche pour croire que le dominant en vous est soudain apparu au monde alors que vous fessiez votre copine, c'est justement que brèche il y avait, et très probablement, elle venait d'un stress dans la dure compétition entre mâles à laquelle nous sommes soumis.
Ce simple doute de votre part confirme bien les faits : vous n'êtes assurément pas un dominant, et vous devez même être plus proche de la 766e position que de la première. Mais n'allez pas vous suicider pour autant, et songez plutôt que se faire reconnaître mâle dominant, ce n'est jamais qu'être élu M. queue-la-plus-chatoyante par un jury de paonnes : ces femmes, que preux chevalier vous avez tant de fierté à dominer, elles sont précisément les juges qui motivent toutes vos fanfaronnades.
Rappelez-vous, aussi, que le vrai mâle dominant, à l'heure où j'écris ces lignes, ce serait Bill Gates plutôt que Lancelot du Lac… Aussi fier puissiez-vous être d'avoir été nommé « Maître » par votre douce, sachez raison garder et considérez que son jugement est biaisé, car pour une femme, admettre que son compagnon n'est pas un mâle dominant est avant tout un constat d'échec… pour elle.

Nous aspirons tous à être l'élu, reconnu, envié, admiré, convoité, loué, jalousé, imité… mais le BDSM n'a strictement aucun pouvoir de transformer ou faire naître un mâle dominant. Il offre, certes, un plaisant théâtre à l'incarnation de ce rêve que plus ou moins habilement nous dissimulons tous en nous… mais il ne fait rien de plus.

Khayyam,
motivé, comme tous les mâles, à remonter la file des 766
Le 1er janvier 2006.


[1] Certaines espèces de grenouilles se reproduisent par parthénogénèse, ne faisant appel à l'élément mâle que lorsque des changements environnementaux imposent, à travers une importation exogène, quelques mutations à l'espèce. Pour s'éviter un tel avenir, qui n'assurerait aucunement la survie de ses gènes, l'individu mâle humain a donc tout intérêt à brider autant que faire se peut la progression intellectuelle ou sociale de ses femelles.


Notes et autres formats de lecture : Commentaires à propos de ce texte   Lire en format Acrobat PDF Lire en format MSreader (PDA, etc.)  

En tant qu’auteur, je dépose ce texte sous licence
Creative Commons


Paternité, NC, Partage à l’identique 2.5
Il peut être librement publié, modifié, et réutilisé à des fins non commerciales, sous condition de publication aux mêmes termes, et en citant l’auteur initial :
Khayyam – http:/mehere.free.fr/

Retour en haut de page