J’ai intitulé cette section « Shibari », mais je dois ici faire un aveu : je n’ai pas passé dix années de ma vie dans la province de Tokyo à mener une vie d’ascète pour apprendre cet art ancestral avec un Maître japonais. Je n’ai pas étudié la symbolique des techniques employées pour aider à l’identification des prisonniers dans la période moyenâgeuse de l’Empire du Soleil Levant. Pas une seconde je ne considère l’esthétique des nœuds plus importante en soi que le jeu BDSM proprement dit.
Enfin, mes cordes proviennent bêtement du BHV ; elles ne sont même pas fabriquées par un vieil artisan aveugle de Cipango.
Les japonais ont cette habitude, parfois agréable, parfois horripilante, de magnifier les traditions – surtout celles qui ne sont pas les leurs. Pour un peu, on jurerait qu’ils ont inventé le thé vert, le karaté, les bonsaï, le boulier, et que sais-je encore. Dans 500 ans, nos descendants sauront tous que le flamenco est un art ancestral japonais.
La faute à qui ? Aux occidentaux, toujours prompt à lire mysticisme et spiritualité dans ce qui nous vient du lointain Orient.
Je ne suis pas un spécialiste du Japon, loin s’en faut. J’y suis allé, j’y ai des connaissances, et j’aime l’élitisme avec lequel, dans ce pays, la plus petite tradition – d’où qu’elle vienne – se transforme en art. Ce que j’apprécie beaucoup moins, c’est l’interprétation occidentale qui en est faite. Premier temps, on s’émerveille et l’on crie au mystique. Deuxième temps, on cherche à s’approprier la chose en exagérant son côté spirituel, en espérant que le voisin verra en nous ce même mythe intouchable que l’on a cru lire en Asie. Le syndrome Jean-Claude Vandamme, en somme : on ne peut pas vraiment connaître la boxe tant que l’on n'est pas allé se faire écarteler et torturer en Thaïlande pendant des mois. C'est dur à expliquer, parce que... vous n'êtes pas orientaux, vous. Vous ne pouvez pas comprendre. Vous n'avez pas vu la Lumière.
Peu importe. Moi, je n'y connais rien, je n'ai pas vu non plus la lumière, mais j’adore le… comment vous dites « Shibari » en français, déjà ?
P. Khayyam
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